Croisements littéraires: Monica Bolduc vous présente Paul Bossé

23 janvier 2019
Entrevues portraits
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Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célébrera ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.

Cette semaine : Monica Bolduc vous présente Paul Bossé

30e du REFC_WordItOut_MB_PB_article

Lorsqu’elle a commencé à lire de la poésie pour s’éduquer et alimenter sa propre pratique d’écriture, la poète acadienne Monica Bolduc s’est naturellement tournée vers la poésie de son coin de pays. Un cendrier plein d’ancêtres, le premier recueil de Paul Bossé, paru en 2001 aux Éditions Perce-Neige, a été l’un des cinq premiers qu’elle a lus, et elle a tout de suite été surprise par l’unicité de son style d’écriture.

Pour moi, Paul Bossé a été une inspiration, et j’ai tout de suite été fascinée par son style, avance Monica Bolduc, qui a aussi apprécié les sujets traités par l’auteur. Moi j’ai tendance à écrire par rapport à ma propre vie et mes propres expériences, et non pas sur des problèmes de la vie et de la société comme lui. J’aime les choses que moi je ne fais pas, parce que ça me permet de voir autre chose que mon petit monde et mes procédés créatifs à moi. Lire ça, ça m’inspire à aller voir un peu plus loin et à explorer d’autres avenues que je n’aurais pas explorées par moi-même.

Mais avant de le lire, c’est à la Soirée de poésie Gérald-LeBlanc, lors de l’édition 2013 du Festival Acadie Rock, que Monica Bolduc a découvert le poète acadien. Performant ses textes sur scène aux côtés de Jean-Paul Daoust, de Sonia Cotten, de Dominic Langlois, et de Jean-Philippe Raîche, entre autres, Paul Bossé a fait partie du premier contact de Monica Bolduc avec des soirées de poésie, et l’a complètement jetée par terre. Ça a été mon premier contact avec Paul Bossé, et c’est à partir de ce moment-là que je l’ai lu; c’est de là que me sont venus l’inspiration et le goût d’écrire, et il y a cette drive-là qui est née en dedans de moi, affirme la poète.

Au fil du temps et des soirées de poésie, la poète a pu rencontrer l’homme et apprendre à le connaître davantage. C’est donc en connaissant ses écrits, mais aussi sa personnalité, qu’elle décrit avec facilité son collègue en ces termes : explosif, passionné et out of the boxdisons innovateur, plutôt. Ça sonne bien tout ça, ça sonne un peu comme Paul!, confirme-t-elle.

Un poète explosif

Monica Bolduc : Paul travaille beaucoup avec les sonorités, avec les rythmes, et avec la langue, aussi. C’était quelque chose que je n’avais jamais connu; ça m’a beaucoup impressionnée, et je suis devenue fan de cet homme-là assez rapidement. Il a un style tellement unique dans la façon qu’il écrit. Il utilise un mélange de français, d’anglais, de chiac, et puis aussi des mots inventés; il utilise beaucoup de néologismes, donc parfois, ça devient vraiment abstrait. Au début, j’avais de la difficulté, parce que ce qu’il nous présente, c’est tellement un univers flyé. Il travaille beaucoup avec le son, aussi, tu vois qu’il est inspiré par la musique beaucoup. Il y a même des effets sonores dans ses poèmes. C’est vraiment particulier comme poésie.

Je l’ai aussi vu lire de la poésie sur une scène, plusieurs fois, et tu ne sais jamais à quoi t’attendre, tu ne sais jamais ce qu’il va te sortir. C’est fascinant de le voir aller sur une scène, c’est une expérience à toutes les fois. La livraison, pour moi qui viens du monde du théâtre, c’est quelque chose qui est très important; j’adore les mots, j’adore la poésie, sauf que ce n’est pas tout le monde qui est capable de livrer de la poésie sur une scène de façon à capter l’attention des gens. Et c’est pour ça que dès mon premier contact, j’ai beaucoup aimé le travail de Paul. C’est incroyable, ça vient avec des effets sonores! Je pense que la dernière fois que je l’ai vu sur une scène, après tant de vers qu’il récitait, il y avait des espèces de bruits de singes! C’est tout le temps complètement éclaté, explosé! Il s’approprie la scène, il te crache quelque chose dans la face, et tu l’acceptes! Il ne fait pas juste lire, c’est vraiment une performance, toujours. En plus, l’écriture de Paul sort des clichés poétiques auxquels on peut penser, ça nous fait voir autre chose.

Un créateur passionné

M. B. : C’est vraiment son approche unique et particulière à l’écriture et à la langue que j’ai beaucoup aimé, mais aussi sa façon de dénoncer un peu la bêtise humaine. Il le fait de façon vraiment directe, mais aussi vraiment éclectique, en même temps. Il y a des thèmes qui reviennent chez Paul, parce que c’est quelqu’un qui est très passionné de l’environnement, de la consommation; c’est très social et politique par moments, et c’est très, très humain comme poésie. Il s’intéresse aussi beaucoup à l’intelligence artificielle, à la technologie, à ce qui s’en vient, et il laisse entrevoir un peu ses craintes par rapport à ça. Je vois Paul comme un être de passion, et pour moi c’est quelque chose qui est très inspirant à la base.

C’est très franc, et ça traite de sujets qui font vraiment réfléchir. Je pense que sa poésie va toujours rester d’actualité : il y a des sujets qui changent, mais qui ne changent pas vraiment, non plus. Il y a des sujets d’écriture qui sont autant pertinents 20 ans plus tard, et je pense que c’est un peu ça pour l’écriture de Paul Bossé, parce que ce sont des craintes, des inquiétudes environnementales et de la société, qui sont là depuis des années et qui vont probablement rester là pour un bout encore.

Un artiste innovateur qui pense out of the box

M. B. : Il est très innovateur, il a vraiment des projets super flyés : il a carrément créé une intelligence artificielle. Il l’a présentée cette année dans le cadre du Festival Frye de Moncton; il s’appelle le Paul Bot, comme le Paul Robot. Il a travaillé avec un autre artiste de la région, Jean-Denis Boudreau, qui a fait le côté plus visuel, et Paul a travaillé avec deux étudiants de l’Université de Moncton pour créer le réel côté intelligence artificielle.

Dans le fond, lui, ce qu’il se posait comme question, c’était par rapport à l’obsolescence, donc il voulait créer un robot qui le rendrait obsolète; ce que je trouve vraiment, vraiment intéressant. Ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils ont appris à cette intelligence artificielle-là le vocabulaire de Paul Bossé. Pas la grammaire française régulière, parce que ça allait vraiment trop mélanger le style, mais le robot a appris tous les mots des cinq recueils de poésie de Paul, et aussi de tous ses brouillons et ses écrits inédits, et c’est devenu un poète en soi, avec un générateur de poèmes. Donc l’intelligence artificielle a appris le style et le vocabulaire de Paul Bossé, même ses mots inventés et le mélange qu’il fait entre le français et l’anglais, et il a réussi à s’approprier le style de Paul Bossé. C’était super intéressant! Et c’était vraiment pour voir jusqu’où on peut aller avec la technologie, et quand est-ce que le travail de l’artiste va devenir obsolète?

Lui-même disait que le robot avait eu de belles trouvailles poétiques, alors que le robot s’inspire de lui! Mais lui ça l’inspirait aussi, parce que ça prenait ses mots, mais ça les mettait dans un ordre que lui, que son cerveau à lui n’aurait pas nécessairement mis ensemble.

Il trouve tout le temps une façon d’être out of the box et de repousser les limites de ce qu’on pensait peut-être être possible. Il travaille aussi dans l’industrie du film, donc il a aussi une espèce de sens de l’image et du visuel qui est assez bien développé aussi.

Tu lis un poème, et tu peux dire : ça, c’est du Paul Bossé. C’est très particulier, ce n’est pas donné à tous les auteurs. Il a vraiment son univers, son écriture et son cerveau à lui. Il n’est pas le premier à mélanger l’anglais et le français, mais il fait ça d’une façon très reconnaissable; il faut le lire pour le comprendre. C’est difficile à décrire, mais je peux entendre du Paul Bossé et dire que c’est lui vraiment facilement, et ce n’est pas du tout négatif : je trouve ça magnifique, il a vraiment son style, sa signature sur ce qu’il fait, mais il a quand même toujours une façon de surprendre et d’innover.

Il n’est pas prévisible du tout, au contraire, et c’est ça que je trouve fascinant : il y a beaucoup de contrastes dans ce qu’il fait, des moments où c’est très abstrait, des moments où c’est très concret; il y a aussi un contraste du fait qu’on reconnaît vraiment son style, il a une façon d’écrire « de la même façon », mais en même temps ce n’est jamais pareil d’une fois à l’autre! Il faut vraiment le lire pour comprendre.

Propos recueillis par Alice Côté Dupuis

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