des petites tranches d’humanité
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Sur la rue Tout-le-Monde de Sheree Fitch, traduit en français par Marie Cadieux :
des petites tranches d’humanité
Le récit poétique Everybody’s Different on Everybody Street de l’autrice canadienne Sheree Fitch a été si populaire, depuis sa publication en 2001 dans le cadre d’une campagne de sensibilisation aux problèmes de santé mentale et de dépendance, que l’éditeur anglophone Nimbus Publishing a décidé de le rééditer en version illustrée par Emma Fitzgerald, en 2018. Maintenant, c’est au tour des jeunes francophones de profiter de cet album pour entamer de sérieuses discussions tout en s’amusant, grâce à sa traduction française par Marie Cadieux publiée chez Bouton d’or Acadie, sous le titre Sur la rue Tout-le-Monde.
Sheree Fitch est maître du calembour, des tournures poétiques et amusantes, de la création de mots, d’invention d’images un peu farfelues qui font sourire, et en même temps qui apportent un éclairage sur qui on est, avoue d’emblée Marie Cadieux, autrice et directrice des Éditions Bouton d’or Acadie, qui a traduit en français ce livre. Si cela faisait longtemps qu’elle voulait traduire une histoire de l’autrice canadienne, elle était aussi consciente du défi que cela représenterait. Dans ce cas-là, à cause du sujet, mais aussi du côté très imagé, ça permettait quand même une certaine liberté, concède celle qui qualifie plutôt sa traduction d’adaptation. Une adaptation qui représente fidèlement l’esprit imagé et inventif de l’autrice.
Soyons clairs : le sujet est sérieux. C’est un parcours poétique qui repose sur le constat [selon lequel] les problèmes de santé mentale, les défis que ça pose, tout le monde y participe, d’une certaine façon. Peu importe où on vit, on a des défis et on est « sur la même rue » quand vient le temps de faire face à ces questions-là. Pourtant, les mots « dépendance », « maladie », « malade » ou « santé mentale » ne font pas partie du vocabulaire de cet album jeunesse. Le tout est plutôt évoqué de façon ludique : On voit bien qu’il y a des personnages qui ont une obsession ou souffrent d’anxiété, raconte Cadieux, qui préfèrent fuir la lumière ou qui ont besoin d’énormément d’attention… Tout ça, c’est le genre de choses qu’on voit, tout autour de soi, s’exprimer dans la vie de tous les jours.
Un regard humain
La traductrice compare la panoplie de personnages présents dans Sur la rue Tout-le-Monde à une sorte de foire ou à un grand parc où défilerait un éventail de personnages colorés, dans lesquels le lecteur ou la lectrice pourront se reconnaître. On est tous là, chacun avec ses petites folies, ses angoisses, ses questionnements, mais aussi ses joies. Et on vit ça en commun, analyse-t-elle, en assurant toutefois que la joie et la positivité ressortent de l’album plus que toute autre chose – une impression à laquelle les illustrations contribuent beaucoup. En présentant les personnages comme habitant tous dans un même immeuble à logements, tant les illustrations que le récit lancent un appel à la solidarité et au vivre-ensemble harmonieux.
La force de cet album réside donc dans la façon dont l’autrice nous invite à regarder tout ça avec un regard qui est humain, et où nous pouvons faire la part des choses, reconnaître nos propres différences. C’est une invitation à célébrer la différence, et en même temps, c’est une célébration du fait que nous partageons le même espace. Cadieux admet que les lecteurs et lectrices ne se reconnaîtront pas forcément dans les soucis qui affligent les personnages de l’histoire, mais elle croit que la planète est toute petite et que, d’une certaine façon, nous vivons tous dans la même maison, dans la même rue!
Une douce folie
Pour illustrer l’ingéniosité du travail sur la langue effectué par Sheree Fitch et rendu adéquatement en français par Marie Cadieux, cette dernière y va d’une anecdote : alors qu’elle donnait une présentation devant une classe de cinquième année en immersion, lors du Festival Frye de Moncton, un élève s’est reconnu dans le personnage de l’hippopotame qui « hippopotape » du pied, comme lui lorsqu’il est nerveux. L’utilisation de personnages animaux, justement, pour souligner un état d’esprit, est un des procédés efficaces de l’autrice : son recours à des images intéressantes [et notamment animales] pour dédramatiser [élargit la] perspective, et montre qu’il y en a d’autres, aussi, qui passent par là.
Sur la rue Tout-le-Monde, selon Marie Cadieux, pourrait être résumé par le mot anglais silly… C’est comme un petit vent de folie. C’est drôle [d’emprunter ce mot] en discutant de santé mentale, mais c’est vrai que le livre est traversé d’une sorte de vent de folie. Tout le monde est dehors et rigole, s’amuse de voir un peu les facéties des voisins, raconte celle qui aimerait que les lecteurs et lectrices retiennent de ce livre le bonheur qu’on peut ressentir dans le partage, le dialogue et le regard mutuel, bref, dans le vivre-ensemble.
L’album jeunesse Sur la rue Tout-le-Monde de Sheree Fitch, traduit en français par Marie Cadieux, est paru chez Bouton d’or Acadie.
Alice Côté Dupuis
avril 2022