«Mourir à Scoudouc» d’Herménégilde Chiasson: Un cri du cœur poétique
Chaque semaine, le RECF présente
une nouveauté franco-canadienne
Mourir à Scoudouc d’Herménégilde Chiasson
Un cri du cœur poétique
Il y a certains livres qui marquent les esprits, qui changent des vies et deviennent des incontournables. C’est le cas du beau livre de poésie Mourir à Scoudouc, d’Herménégilde Chiasson, qui est devenu un incontournable en raison de ses propos revendicateur d’une Acadie florissante et vivante, ainsi que du contexte de sa parution, dans une Acadie qui venait enfin de se doter d’une maison d’édition bien à elle et qui publiait en 1974 son troisième livre seulement. Grâce à ces facteurs, cet ouvrage a acquis une notoriété qui l’a mené ces jours-ci à une réédition, 42 ans après sa publication originale, par les Éditions Perce-Neige.
C’est un ouvrage très important qui a marqué les débuts de la littérature acadienne contemporaine. C’est un concept nouveau, aussi, parce que c’est un livre objet d’art, observe Serge Patrice Thibodeau, directeur général et littéraire aux Éditions Perce-Neige à propos du livre qu’il a souhaité rééditer dès 2014, pour son 40e anniversaire. Très esthétique, le livre « objet d’art » qu’il décrit ne comprend pas que des poèmes et des photos; il y a tout un jeu de graphisme : Herménégilde Chiasson joue avec la taille des polices de caractère et offre un aspect visuel extrêmement réfléchi.
De la mise en page qu’il a lui-même réalisée, l’auteur avoue qu’avec les moyens et les technologies d’aujourd’hui, cette réédition du livre est beaucoup plus accomplie, beaucoup plus finalisée que l’autre. Mais outre les photos – dont plusieurs prises par Chiasson lui-même – et la qualité visuelle du projet, le poète croit plutôt que c’est le texte de Mourir à Scoudouc qui a marqué. C’est un peu la dimension très militante de l’époque, je pense, qui a retenu l’attention à ce moment-là. Des poèmes comme « Les couleurs du drapeau » ou « Eugénie Melanson » sont beaucoup plus politiques, mais il y a aussi d’autres poèmes plus personnels, sur l’amour, par exemple. Mais c’est toujours à propos de ce lien-là, entre le territoire et les conditions d’existence difficiles.
Quand j’ai commencé à écrire, l’Acadie était très folklorique. C’était le passé qui était important, le présent n’existait pratiquement pas. Mais moi, je me disais à l’époque qu’à partir de l’Acadie, il fallait qu’on rejoigne le reste du monde, qu’on fasse une contribution, et qu’on ne pouvait pas arriver là en leur disant qu’on a été glorieux il y a 30 ans passés!, explique Herménégilde Chiasson à propos des revendications qui l’habitaient et qui teintent grandement le contenu de Mourir à Scoudouc. Son poème-phare, celui qui l’a fait connaître et qui est aujourd’hui repris dans les anthologies de poésie, en est d’ailleurs un sur cette espèce de complaisance dans le passé; le texte finit en disant qu’Eugénie Melanson s’est endormie en rêvant à d’autres déportations. Pour moi, c’était un peu ça, à l’époque.
Serge Patrice Thibodeau se souvient, lui aussi, et insiste sur la pertinence des poèmes de son auteur. C’est une poésie extrêmement engagée, qui dénonçait les inégalités sociales et linguistiques, et une société un peu sclérosée par le clergé. Il y avait vraiment un engagement, on posait des questions très dures sur nous-mêmes, sur l’avenir de l’Acadie, sur comment se prendre en mains au lieu de quémander, tout ça, toutefois, sans jamais que les propos deviennent hermétiques et que les poèmes ne soient destinés qu’aux Acadiens. Comme c’est écrit en prose poétique, c’est sûr que c’est beaucoup plus accessible, et en plus, ce sont des thèmes universels. Il parle de ce qu’il connaît, de son expérience, mais c’est une expérience universelle d’affirmation identitaire et de revendications de ses droits élémentaires.
Pour découvrir ou redécouvrir Mourir à Soudouc, l’éditeur précise qu’Herménégilde Chiasson a de plus écrit un essai d’une dizaine de pages à la fin du livre réédité, qui s’appelle Retour à Scoudouc, où il parle de la genèse du livre, de sa réception en 1974, et de pourquoi ça s’appelle Mourir à Scoudouc. Donc c’est un texte très important, qui nous éclaire sur des années qui étaient très importantes en Acadie. Le principal intéressé, lui, invite le lecteur à se plonger dans cette nouvelle édition de son œuvre qui, encore aujourd’hui, agit en quelque sorte comme un appel à l’aide, pour dire au reste du monde que nous aussi on existe, et que nous aussi on a une voix, et que nous aussi on a une histoire.
La nouvelle édition de l’ouvrage de poésie Mourir à Scoudouc d’Herménégilde Chiasson est publiée aux Éditions Perce-Neige.
Alice Côté Dupuis
18 janvier 2017
La prochaine nouveauté franco-canadienne sera sur le roman Une irrésistible envie de fuir de Catherine Bellemare.