«Nanabozho et le tambour» de Rhéal Cenerini: Le grand art naît de la contrainte

24 mai 2017
Nouveauté de la semaine
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 Nanabozho et le tambour de Rhéal Cenerini

 

Le grand art naît de la contrainte

 

Si vous avez un défi à lancer, l’auteur manitobain Rhéal Cenerini est tout indiqué pour le relever. Nanabozho et le tambour, sa toute nouvelle création publiée aux Éditions du Blé et créée en collaboration avec le Théâtre Cercle Molière et le Manitoba Chamber Orchestra, a été écrite selon plusieurs contraintes, ce qui lui confère autant d’attributs intéressants pour celui qui la recevra que de détails fascinants pour celui qui en fera une lecture attentive.

Déjà, la collaboration entre une troupe de théâtre professionnelle qui s’adresse plutôt à la population francophone du Manitoba et un orchestre de chambre qui rejoint un auditoire davantage anglophone posait son lot de défis. Si en plus on demandait une pièce qui allait être accompagnée d’une musique originale composée par Michael Oesterle et qui allait laisser à la musique une place importante, on allait invariablement se retrouver devant une pièce très unique.

Parmi les autres contraintes de la commande qui lui était passée, Rhéal Cenerini devait essayer d’écrire quelque chose qui reprendrait à peu près le même nombre de personnages que dans L’histoire du soldat, d’Igor Stravinsky, qui sera jouée par l’orchestre, et qui donnait davantage de place au personnage féminin, tout en soulignant la présence d’un instrument de musique. C’est avec ces affectations en tête qu’est née Nanabozho et le tambour, une pièce qui reprend un personnage légendaire de la tradition orale des Premières Nations, qui ici s’éprend d’une jeune femme, mais celle-ci a déjà donné son cœur à un autre, en l’occurrence un coureur des bois. Alors Nanabozho, le Filou, décide de jouer des tours à ce garçon, afin de démontrer à la jeune femme que ce dernier n’est pas digne de ses affections.

La jeune femme en question, Daywayganatig, porte un nom ojibwé, qui signifie très justement «celle qui bat du tambour». La pièce, vraiment, est au sujet de la philosophie ou la vue d’ensemble sur le monde qu’ont ces deux personnages autochtones, Daywayganatig et Nanabozho, par rapport à celui qui arrive de l’extérieur, c’est-à-dire le coureur des bois qui s’appelle Gabriel. Alors la pièce présente l’interaction entre les deux cultures, entre les deux vues d’ensemble, raconte son auteur, Rhéal Cenerini, qui a lui-même voulu rendre hommage à la tradition des Premières Nations, qui ont vraiment formé l’Ouest canadien, à cause de leur présence et de leurs traditions.

L’auteur a travaillé avec un ancien Cri qui signe également la préface de l’ouvrage, Ken Paupanekis, pour retranscrire cette légende et s’assurer qu’elle reflète l’idée de la communauté, explique pour sa part la directrice générale des Éditions du Blé, Emmanuelle Rigaud, qui apprécie aussi la recherche sur la langue qui caractérise l’œuvre de Rhéal Cenerini, afin de trouver les mots justes, mais aussi, dans ce cas-ci, de trouver à quel moment il faut changer de langue.

Puisque pour essayer de satisfaire les deux publics, l’auteur s’est personnellement ajouté comme contrainte d’essayer de créer une pièce qui alterne entre les deux langues officielles, qui pourrait être comprise des unilingues, qu’ils soient francophones ou anglophones. Ainsi, selon Emmanuelle Rigaud, que vous la lisiez en français ou en anglais, vous pouvez comprendre la pièce. Vous n’avez besoin que d’une seule langue pour la saisir même si quelques détails manqueront.

Cette complète réunification des anglophones et des francophones, de plus entremêlés dans une légende autochtone, devrait donner, selon l’éditrice, l’envie et la tentation de mieux comprendre l’autre partie, mais évidemment, c’est travaillé pour qu’il y ait assez d’informations pour l’un et pour l’autre. Cette gymnastique intellectuelle, qui est devenue un réflexe dans la tête des bilingues qui changent constamment de langue sans y penser, Rhéal Cenerini, à sa façon, retranscrit cela aussi.

L’auteur a donc tout calculé et son travail est précis et rigoureux, d’autant plus qu’il s’est ajouté une ultime contrainte supplémentaire : écrire cette pièce en vers. Il y a donc un fort côté poétique et lyrique au texte. La raison pour laquelle j’ai fait ça, c’est parce que je savais que ça allait être accompagné d’une musique originale, et je voulais que le texte ait ce caractère lyrique pour que ça colle avec la musique, et que si le compositeur décidait de donner une certaine forme plus chantée au texte, que c’était une possibilité pour lui de le faire. Il est donc possible de jouir autant de son histoire accessible et amusante, de sa sagesse, de ses messages d’universalité, de multiculturalisme, que de son côté lyrique.

Malgré autant de contraintes, tant imposées par les institutions qui lui ont commandé la pièce que par lui-même, Rhéal Cenerini espère simplement que les gens retiendront que le texte est divertissant, qu’il fournit certains enseignements et qu’il aspire à une certaine guérison, aussi. Il semble pourtant indiscutable qu’il a réussi à livrer une pièce exactement dans l’esprit des récits légendaires tels que celui de Nanabozho, c’est-à-dire une histoire d’une grande simplicité, mais qui contient une grande sagesse et beaucoup de détails significatifs.

La pièce de théâtre Nanabozho et le tambour, de Rhéal Cenerini, est publiée aux Éditions du Blé. Le livre sera disponible le 7 juin 2017, en même temps que la pièce sera jouée pour la première fois par le Théâtre Cercle Molière.

 

Alice Côté Dupuis
24 mai 2017