«La Queens» de Jean Marc Dalpé: Aller au fond des choses

13 février 2019
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La Queens de Jean Marc Dalpé 

La Queens

Aller au fond des choses

Trente-deux ans après Le Chien et vingt ans après son roman Un vent se lève qui éparpille, le poète et dramaturge Jean Marc Dalpé revient à cette petite ville jamais nommée du Nord de l’Ontario. Quelque part sur le bord de la 11, de la 144 ou de la 101 dans le Nord-Est ontarien se situe l’hôtel-motel La Queens, un lieu qui servira de prétexte à d’importantes réflexions sur l’appartenance et l’identité. Dans cette nouvelle pièce de théâtre publiée chez Prise de parole, Dalpé revient aux sources et à ses thèmes de prédilection pour nous mettre en garde : si on ne va pas au bout de nos réflexions et discussions en tant que société, ça pourrait finir très mal.

Il possède un bar et 60 chambres, cet hôtel-motel familial laissé en héritage en parts égales à deux sœurs, Marie-Élizabeth et Sophie, au décès de leur mère, et pour lequel elles se chicanent. Ce qu’on découvre sous ça, c’est un conflit entre ces sœurs, parce qu’il y en a une qui veut absolument conserver cet hôtel-là, qui représente son attachement au Nord, à ce qu’elle a reçu, et l’autre sœur qui a quitté depuis plusieurs années et qui est maintenant une musicienne classique qui fait de la tournée à l’international, elle, ne veut rien savoir et veut couper tous les ponts avec cet héritage-là, avec ce Nord-là, raconte Jean Marc Dalpé au sujet de la prémisse de base de sa première création originale en solo depuis Août – un repas à la campagne, en 2006.

Le vrai sujet de la pièce, c’est l’appartenance et l’identité : est-ce que je suis qui je suis à cause de mon lien au passé, à cause du territoire natal, de la famille, de cette identité-là qui m’a été transmise? Ou est-ce que je suis qui je suis parce que je m’en suis affranchi, parce que j’ai quitté, parce que je suis allé vers l’autre, donc je suis devenu un individu en me confrontant à l’extérieur et en rejetant d’une certaine façon le passé? analyse l’auteur, qui croit que tout le monde est aux prises avec ce type de conflit interne. Chacun serait ainsi tourmenté par la peur de perdre ses racines et de ne plus savoir qui il est, mais aussi par la volonté de s’épanouir et de ne pas rester refermé sur soi-même. En traitant ce sujet au théâtre, Dalpé a extirpé ce conflit intérieur de lui, de nous tous, afin de le pousser à l’extrême et d’en faire sortir tout ce qu’il pouvait.

À la fois une grande dose d’amour et une charge de haine contre le Nord ontarien, La Queens nous fait tanguer entre les deux émotions face à ce territoire si important pour l’auteur. Je ne prends pas une position pour l’un ou pour l’autre, je mets les deux sur scène pour qu’on puisse explorer cette relation-là d’amour-haine avec le pays originel. Je suis allé au fond, et bien sûr que moi j’ai une opinion personnelle; je l’ai exprimée dans mes poèmes et dans d’autres choses, comment je suis attaché à ce paysage-là, mais dans la pièce, ce n’est pas ce que je veux faire. Dans La Queens, ce que je veux, c’est qu’on aille au bout de cette confrontation-là, explique celui qui a utilisé deux sœurs pour illustrer ce conflit et faire monter une tension dramatique.

Entre les deux sœurs, il y a, pour ajouter au tout, la présence de Marcel, un vrai « crosseur », aux dires de Jean Marc Dalpé. Ce personnage représente celui qui n’est là que pour exploiter les ressources et le monde, aussi. S’il ne fait pas de théâtre militant ou engagé, l’auteur a néanmoins brodé dans cette histoire simple en apparences plusieurs couches de questions psychologiques, sociales et politiques. Il a voulu mettre en lumière des réalités préoccupantes : il existe bel et bien des gens qui ne sont intéressés qu’à exploiter le territoire.

Et cette fameuse réconciliation avec les peuples autochtones par le gouvernement en place? Elle n’a qu’un but, c’est-à-dire de les voler mieux, avance Dalpé, qui fait allusion aux relations des habitants du Nord avec les Premières Nations dans La Queens et qui s’est aussi notamment inspiré du « Ring of Fire » dont Doug Ford parle depuis quelques temps pour alimenter la grande allégorie de sa nouvelle création théâtrale. Je me tiens loin d’apporter des solutions ou une vision claire; pour moi, la pièce est plutôt une mise en garde pour dire que si on ne va pas au bout de ces questions-là, ça finit mal. Si le dialogue s’arrête, si on s’isole dans nos positions, ça finit avec des fusils et des menaces, et ceux qui vont gagner, ce sont les Marcel de ce monde, qui vont réussir à manipuler et à tout effacer.

La pièce de théâtre La Queens de Jean Marc Dalpé est publiée aux Éditions Prise de parole.

 Alice Côté Dupuis
13 février 2019