«Le Journal d’Étienne Mercier» de David Bouchard: S’inspirer de la beauté

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Le Journal d’Étienne Mercier de David Bouchard
S’inspirer de la beauté
Lorsqu’il a aperçu les toiles illustrant des scènes de la réalité et de la culture du peuple haïda peintes par l’artiste Gordon Miller, l’auteur David Bouchard s’est tout de suite demandé comment il pourrait mettre en valeur ces incroyables tableaux qui montrent la beauté de Haida Gwaii, anciennement les Îles de la Reine-Charlotte. Sa solution : créer un personnage qui serait un artiste, mais aussi un écrivain, et qui ferait le tour des îles en dessinant et en racontant ce qu’il voit. C’est ainsi qu’est né Le Journal d’Étienne Mercier, un bel ouvrage classé essai, traduit en français par Janine Tougas et paru aux Éditions des Plaines.
David Bouchard n’en revient pas de la beauté de son plus récent livre : après 74 livres publiés – selon son calcul –, dont plusieurs avec des images, il insiste pour dire que de tous, Le Journal d’Étienne Mercier est sans aucun doute le plus beau, en raison de ses illustrations, bien sûr, mais aussi du beau travail effectué par la maison d’édition afin de trouver une esthétique particulière qui s’apparente au papier d’un vieux journal. Mais Gordon Miller, le magicien derrière les illustrations du livre, n’est pas qu’un incroyable peintre : il est aussi un expert de la culture haïda, qui a bien conseillé l’auteur dans la rédaction de son histoire inventée.
J’ai fait des recherches énormes, mais en effet, l’artiste m’a guidé vers l’authenticité de ce que je devais dire. Donc c’est vraiment bien fait, je n’ai pas du tout exagéré, et j’ai écrit leurs valeurs, leurs traditions tels que ces gens-là auraient voulu être représentés. Je reste très fidèle, direct et juste, affirme celui qui a eu envie de s’attarder au peuple haïda après être déménagé de la Saskatchewan à la Colombie-Britannique et avoir observé les différences manifestes entre les peuples des Premières Nations de l’Ouest et ceux des Plaines. Après avoir vécu ici pendant un bout de temps, je me suis rendu compte que c’est à cause du climat. Dans les Plaines, on avait plutôt à survivre aux hivers, à la neige, au froid, aux vents; mais dans l’Ouest, ils avaient le temps, eux, de travailler leurs talents artistiques.
Ce seraient donc la température, les saisons et la météo qui avaient des impacts directs sur non seulement la façon de vivre des Haïdas, mais aussi leur façon de faire la guerre ou d’organiser leurs maisons. C’est pour décrire tout ça que David Bouchard a imaginé un jeune Québécois trappeur, coureur des bois, travaillant pour la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1853, et à qui il a donné le nom de son propre fils : Étienne Mercier Bouchard. Son personnage a donc fait le tour de Haida Gwaii et il a pu écrire et peindre ce qu’il voyait. Le résultat étant son journal, dans ses mots à lui, de ce qu’il a vu, de la situation en Colombie-Britannique avec les Haïdas en 1853.
Afin de conférer au journal une crédibilité plus grande encore, David Bouchard a effectivement écrit le journal de son personnage « dans ses mots à lui », c’est-à-dire une langue commune et populaire à l’époque, qui s’apparente à un vieux joual québécois, ce qui donnera certainement du fil à retordre aux lecteurs français. Cependant, l’auteur, lui-même dyslexique, affirme écrire pour des gens comme lui, qui ne sont pas de grands lecteurs. Grâce aux images et à la forme accessible du journal, il est convaincu que son livre permettra même aux moins bons lecteurs d’avoir accès à mes idées, à mon histoire, et de découvrir les traditions, les valeurs et la beauté pure. Je pense que ceux qui liront mon livre auront même envie de peindre, d’écrire ou de chanter, et c’est aussi un livre vraiment touchant, affirme-t-il.
C’est effectivement un véritable désir de transmission de la culture, des coutumes du peuple haïda, de la danse, de la nourriture et même de la religion que David Bouchard présente dans ce livre. J’aimerais que les lecteurs retiennent la générosité de ce peuple-là, mais aussi la façon dont ils ont gardé leurs coutumes, durant des centaines d’années. Aujourd’hui même, ils représentent exactement ce que leurs ancêtres faisaient, et nous, on a perdu ça! La langue, nos chansons, nos danses; c’est une vraie bataille pour passer ces coutumes-là à nos jeunes, mais pour eux, ce n’est pas une bataille, c’est la façon dont ils vivent. J’aimerais tellement que les nôtres voient qu’on peut, et même on doit à nos ancêtres de non seulement garder ces coutumes-là mais aussi de les enseigner, de les passer aux plus jeunes, pour qu’ils puissent continuer à les faire vivre eux aussi.
Ayant inséré ici et là plusieurs chansons que son personnage chantonne, dont « Au clair de la lune » ou « À la claire fontaine » – certaines ayant connu quelques modifications au niveau des paroles –, David Bouchard trouve important de transmettre aux plus jeunes sa culture franco-canadienne, mais par-dessus tout, c’est la douceur, la gentillesse et la générosité des Haïdas qu’il souhaitait représenter. Eux, ce qu’ils faisaient pour aider les pauvres, c’était une cérémonie qu’ils appelaient un Potlatch, durant laquelle ils donnaient tout ce qu’ils avaient aux pauvres. Ici, pour montrer combien on était riche, on ne conservait pas des choses matérielles, mais on donnait, raconte avec admiration l’auteur, convaincu que les Blancs ont beaucoup à apprendre des peuples haïdas.
L’essai illustré Le Journal d’Étienne Mercier, de David Bouchard, traduit par Janine Tougas, est publié aux Éditions des Plaines.
Alice Côté Dupuis
5 décembre 2018