«Les derniers dieux» de Simone Chaput: Voir loin en avant

3 octobre 2018
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Les derniers dieux de Simone Chaput

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Voir loin en avant

L’auteure Simone Chaput aurait pu s’attarder à n’importe quelle grande histoire de la mythologie grecque et elle aurait pu y trouver des résonnances avec notre époque actuelle, puisque ces histoires sont universelles et intemporelles. Il y a pourtant une synchronicité aussi inattendue que particulière qui ancre son tout nouveau roman, Les derniers dieux, paru aux Éditions du Blé, dans l’actualité et mène à une réflexion différente sur les relations entre les hommes et les femmes.

Il y avait un choix énorme de tous les mythes, j’aurais pu prendre n’importe lequel, raconte Simone Chaput, qui avoue avoir toujours voulu prendre un ancien mythe grec et le moderniser en le regardant à la lumière du 21e siècle. À l’âge de 18 ans, quand j’ai fait mon premier cours de littérature anglaise, j’ai rencontré le personnage de Tirésias – c’était dans The Waste Land de T.S. Eliot, le grand poète du 20e siècle – et à un moment donné dans un de ses poèmes, il dit « Moi Tirésias, vieillard aux mamelles ridées, battant entre deux vies, bien qu’aveugle, je vois ». Ça m’a tout de suite frappée, parce que c’est un personnage qui présentait une sorte d’hybridité : il était aveugle mais voyant, parce que c’était un devin, et puis il était un homme et une femme à la fois, explique l’auteure, fascinée par le mythique personnage.

Pour elle, les mythes grecs représentent rien de moins que la base de la littérature. Il y a beaucoup de personnages qui reviennent dans la littérature au cours des siècles. Au 19e siècle, on avait choisi le personnage d’Ulysse comme représentant de ce siècle-là, parce qu’il représente la découverte, l’exploration. Le 20e siècle, lui, était représenté par Prométhée, le voleur de feu, parce qu’évidemment, c’était l’éveil de la technologie et tout ça. Alors pour illustrer nos siècles, on s’est toujours tournés vers le passé pour voir s’il y avait un emblème, et je me suis dit que peut-être que Tirésias serait l’emblème du 21e siècle, philosophe-t-elle. Pour ce faire, il fallait donc se questionner : qu’est-ce que le devin aveugle Tirésias pourrait toujours représenter pour nous, quelque 2 000 ans plus tard?

C’est dans la version des Métamorphoses d’Ovide que l’auteure est allée puiser la base de son histoire, un court récit où Tirésias se voit punit par les dieux pour avoir troublé l’accouplement de deux serpents par mégarde et être ainsi intervenu dans le monde naturel. Sous la plume de Simone Chaput, Tirésias deviendra Thierry Sias, un écrivain condamné lui aussi à vivre dans le corps d’une femme pendant sept ans. C’est un homme en exil de lui-même : pendant les sept ans qu’il est en femme, il conserve tout de même son esprit, il est encore Thierry, mais il se voit complètement étranger à son propre moi. On l’exile dans un autre corps.

Si l’auteure croit que le lecteur aura un certain plaisir à lire ses descriptions imagées et les états d’âme de Thierry tandis qu’il découvre le traitement réservé aux femmes – le roman présente le tout avec beaucoup d’humour –, elle croit aussi que le fait qu’un homme vive pendant sept ans dans le corps d’une femme, ça pose toutes sortes de questions et ouvre toutes sortes de portes à des discussions primordiales dans notre société actuelle, avec le mouvement #moiaussi, parce que ça présente d’une façon différente les relations entre les hommes et les femmes.

C’est véritablement la notion d’exil qui est creusée et fouillée dans Les derniers dieux; des thèmes légitimés par le fait que le personnage principal du roman soit un écrivain. Tirésias représente l’écrivain dans la société moderne: justement parce qu’il est capable de voir, d’interpréter le passé de l’homme, mais aussi d’imaginer son avenir. Et c’est aussi parce que c’est ce que l’écrivain fait, se glisser dans la peau d’autres et imaginer leur vie! Pour l’auteure, il fallait absolument que son personnage soit un artiste, d’une part pour le lyrisme et l’inclinaison à la beauté du monde et à la magie que cela apporterait, mais aussi parce que c’est cette sensibilité et cette grande ouverture qui le rend apte à être remétamorphosé.

Toutefois, bien qu’on pourrait également faire des parallèles avec les questions d’identité de genre, elles aussi bien présentes dans l’actualité, l’auteure prévient que son intention n’était pas de porter un commentaire sur ce que vivent les gens qui doivent changer de sexe, que cet écho à l’actualité est fortuit, puisqu’elle réfléchissait à cette idée depuis longtemps, et que son roman sert surtout à s’amuser. C’est un monde d’émerveillement et de magie, affirme celle qui a inventé une petite forêt sacrée à Long Island, à New York, pour camper son récit. Il faut suspendre l’incrédulité, comprendre que ces choses-là ne peuvent pas se passer en 2018, mais pour le temps de la lecture, accepter de se laisser emporter par l’intrigue.

Le roman Les derniers dieux de Simone Chaput est paru aux Éditions du Blé.

Alice Côté Dupuis