«Longtemps j’ai porté mes deuils comme des habits trop grands» de Stefan Psenak: La quête d’un homme qui retrouve sa parole

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Longtemps j’ai porté mes deuils comme des habits trop grands de Stefan Psenak
La quête d’un homme qui retrouve sa parole
Après avoir publié quinze œuvres dans différents genres – théâtre, roman, nouvelles, poésie –, et avoir dirigé une maison d’édition, Stefan Psenak a vécu un moment de rupture avec le monde littéraire et a cessé de publier, jusqu’à aujourd’hui, 16 ans plus tard. Cette traversée du désert, comme il l’appelle, fait partie des deuils qui l’ont habité durant toutes ces années, desquels il s’est nourri pour écrire Longtemps j’ai porté mes deuils comme des habits trop grands, un recueil de poésie publié chez Prise de parole qui marque le grand retour d’un auteur à la pensée mature et en pleine possession de ses moyens.
De son propre aveu, plus fébrile pour cette nouvelle parution, 16 ans après avoir cessé de publier, que pour son tout premier livre, Stefan Psenak est de retour avec un projet porteur, qui est extrêmement important et symbolique pour lui. J’ai fini ce manuscrit-là à l’automne 2017 en voyage en Europe avec ma fille, et j’ai mis la touche finale au livre à Bratislava, en Slovaquie, ce qui est très symbolique parce que c’est la terre de mes grands-parents maternels. Donc ce livre-là, au fond, c’est un livre de réconciliation avec le créateur, l’écrivain, l’artiste en moi qui a cédé le pas aux aléas de la vie et à la vie tout court – au quotidien, au boulot –, et qui revient à 48 ans en pleine possession de ses moyens, avec cette envie folle d’écrire, explique d’emblée l’auteur.
Fouetté par les nombreux décès d’amis dans les dernières années, dont certains très subits, Psenak s’est naturellement intéressé à la question de deuil, celle qu’on associe plus généralement à la perte d’êtres chers, mais aussi les deuils qu’on fait quand on tourne la page sur des parties de notre existence, comme le fait de cesser de publier et de ne pas savoir s’il allait y revenir. Stéphane Cormier, codirecteur général des Éditions Prise de parole, renchérit : ce sont des deuils par rapport à l’ami, mais aussi plusieurs sortes de deuils, de toutes ces choses dans la vie qu’on aurait voulu qui soient ou qu’on aurait fait différemment. Des deuils par rapport à des ambitions, des rêves et du temps passé, aussi.
Aujourd’hui, je suis super serein devant ça, car je me suis rendu compte que le devoir de mémoire est plus important que la peine qu’on peut s’infliger, analyse l’auteur, qui avoue que c’est un travail de reconstruction minutieux et patient que j’ai fait sur moi, sur mon rapport aux autres, sur ce que j’ai traversé qui a fait en sorte que je suis qui je suis aujourd’hui, et que je suis capable de l’exprimer comme ça avec un certain détachement, une forme d’acceptation. Pour Stefan Psenak, ce nouveau recueil se veut donc une façon de ne pas oublier ce chemin parcouru, mais aussi ces personnes disparues, en continuant à en parler et en laissant lui-même une trace, un prolongement de lui-même et de ses deuils, qui perdurera.
« J’écris pour faire un pas en direction du monde.
J’écris pour saluer la mémoire des battants, pour
que le sang versé serve à quelque chose. Parce
qu’il n’y a rien d’autre qui vaille, rien d’autre qui
tienne que l’éblouissement et l’indignation »
Bien que la thématique puisse paraître sombre, je pense que la poésie là-dedans est une espèce de marche. À un moment donné je parle de l’apprentissage approximatif de la contemplation, donc il y a une espèce de marche, de réflexion, de prise de conscience. Je pense que c’est un livre lumineux; en tous cas, c’est l’effet qu’il me fait à moi, de l’avoir écrit, avoue Stefan Psenak. Stéphane Cormier explique ainsi cette image: Le recueil est divisé en quatre parties et on constate une progression. Il y a un retour sur le passé, un examen de conscience qui est fait, c’est là que le poète va faire quelques constats assez lucides. On comprend aussi d’où vient son urgence de dire les choses, parce qu’il a une réappropriation de lui-même qui passe par l’écriture.
Pourtant, même si la dernière partie est titrée « L’appréhension de la clarté », Stéphane Cormier nuance que l’auteur va toujours, quand même, rester dans une position complexe par rapport aux choses, à lui, à l’espoir, à la douleur, à l’écriture. On ne pourra pas dire qu’il y a une complète résolution de tout et une paix totale qui s’inscrit par rapport au passé, ni un optimisme jovial par rapport au présent et au futur, mais il y aura une certaine forme de sérénité qui va s’installer. Pour l’éditeur, cette façon de tanguer entre le noir et le blanc dans la poésie de Psenak, ces voyages dans ces zones de complexité sont ce qui est le plus intéressant dans le recueil, qui comporte par ailleurs des perles à chaque page, selon lui.
Cette progression se fait également sentir au niveau de la forme mise de l’avant par Psenak. Si la première partie est en prose sans paragraphes, la deuxième partie en prose propose déjà des poèmes plus courts, puis les deux derniers s’installent dans la poésie en vers. Tout ça n’est pas anodin, selon Stéphane Cormier. La première partie, sans respiration, ça donne une impression d’être dans une espèce de flux et une vélocité qui est très forte, et l’air, les temps d’arrêt entre les vers vont s’installer au fur et à mesure qu’on avance dans le recueil. Pour quelqu’un qui maîtrise l’écriture comme Stefan Psenak, ce sont des dispositifs qui ne sont peut-être pas super apparents au lecteur débutant, mais qui donnent une teinte à la lecture, achève d’expliquer Stéphane Cormier, qui considère ce recueil comme étant extrêmement maîtrisé.
Le recueil de poésie Longtemps j’ai porté mes deuils comme des habits trop grands, de Stefan Psenak, est publié aux Éditions Prise de parole.
Alice Côté Dupuis