«À fleur d’âge» d’Estelle Bonetto : Une image vaut mille mots (et vice versa)

28 août 2018
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À fleur d’âge d’Estelle Bonetto

À fleur d’âge

 Une image vaut mille mots (et vice versa)

C’est en cherchant une façon de mettre ses propres photographies en valeur sans utiliser de simple cadre qu’Estelle Bonetto s’est mise à mettre ses œuvres dans des bouteilles de verre transparentes et à remplir celles-ci de divers éléments liquides ou solides, afin de mettre en scène ses photos de façon poétique. Véritables poèmes en soi, ces bouteilles lui inspirèrent par la suite des textes, eux aussi poétiques, qui accompagnèrent les photos mises en scène lors d’une exposition… avant que le tout ne se retrouve publié aux Éditions de la nouvelle plume dans un ouvrage qualifié de recueil de poésie photographique.

Je ne suis pas photographe professionnelle, mais j’aime faire de la photo, explique Estelle Bonetto, qui a accordé une grande part d’esthétisme à ce qu’elle présente dans son tout premier livre publié. Je prends des photos de petits détails; si je vois un étalage de carottes, je rentre quasiment dans la carotte : c’est vraiment de près, c’est très précis. J’aime beaucoup le jeu, l’exploration, jouer avec les formes, les photos et les mots. C’est d’ailleurs cette envie d’explorer qui a poussé l’artiste à donner une profondeur et une texture à ses photographies autrement qu’en les mettant dans un simple cadre.

Une fois insérées dans des bouteilles de verre transparent qu’elle remplit de liquides, d’huiles ou d’épices, ses photos se retrouvent mises en scène et, fermées avec un bouchon de liège, les bouteilles deviennent des œuvres complètes, très poétiques en soi. Pour que ça ressorte bien dans les bouteilles, il faut quand même que les photos aient des couleurs assez saillantes, donc j’ai beaucoup de couleurs très vives, des gros contrastes, mais aussi un peu de noir et blanc. D’ailleurs, l’huile est un élément merveilleux qui fait ressortir, comme un effet de loupe, les couleurs et la photo elle-même.

À travers ses photographies, l’artiste nous fera passer par le monde des marchés et de la boulangerie, mais aussi par les thèmes très personnels de la vie, de la mort, des questions d’identité et aussi de la maturité; celle émotive, mais également celle liée à l’âge. Mais ne sous-estimons pas l’importance des mots. Celle qui a trimbalé son appareil photo de la France à la Saskatchewan, en passant par le Québec, afin de photographier ce qui l’inspirait, s’est aussi laissée inspirée par ses propres images pour écrire des poèmes. On retrouve donc dans ce livre de la poésie mise en mots et mise en images; des photographies qui ne correspondent pas forcément aux poèmes, mais qui sont des poèmes en eux-mêmes, et aussi des textes qui recoupent parfois les thèmes mis de l’avant par les images, mais pas forcément; il y a des surprises, des déviations entre les images et les mots.

Qu’elle soit prose poétique ou poésie en vers libre, l’écriture d’Estelle Bonetto est aussi étonnante que ses photos insérées dans des bouteilles. Il y a une certaine liberté dans mon écriture, il y a beaucoup de variantes dans les rimes, dans le nombre de vers; ce n’est jamais pareil, j’essaie beaucoup de surprendre. La disposition des poèmes aussi sert à surprendre : il y en a certains qui sont centrés, d’autres sont en haut à gauche ou en bas à droite; il y a beaucoup de variété. Et avec les photos, ça créé un effet de surprise, il n’y a pas une page qui est comme une autre, raconte la poète, qui voulait à tout prix éviter la formule « un poème, une photo » et qui préférait semer des indices et des petites références ici et là, pour que chacun saisisse ce qui l’interpelle et se fasse sa propre interprétation, bien que ce qu’elle livre soit pour elle très intime et introspectif; en quelque sorte un reflet de sa propre sensibilité au monde.

Il faut donc malgré tout un peu de travail pour saisir les subtilités de ce recueil de poésie photographique, bien que la photo ait cet avantage qu’elle devient un peu une sorte de jeu, un objet d’art qui s’avère souvent plus accessible que de la poésie pure et dure. Un autre avantage du visuel, c’est que même les anglophones sont capables d’avoir une appréciation du recueil sans être capable de lire les mots. Les images sont tellement parlantes qu’il y a aussi cet avantage-là, surtout dans un milieu bilingue, d’être capable de montrer cette poésie-là à travers les images.

Toutefois, il ne faudrait pas croire que la photo prend le dessus sur les mots. L’artiste a longuement réfléchi à l’assemblage du livre, et croit être arrivée à un bel équilibre entre les deux. Mais surtout, il faut préciser qu’elle a beaucoup travaillé les textes. Plusieurs personnes m’ont dit que c’est vraiment comme de l’orfèvrerie, comme un bijou; j’ai finement travaillé chacun des textes. C’est ça que je trouve avantageux avec la poésie, c’est qu’on peut vraiment choisir chaque mot, et chaque mot est important. Donc il y a vraiment une recherche de vocabulaire, c’est très riche comme écriture, et je trouve que dans un milieu minoritaire où l’anglais prend de plus en plus de place, c’est important. Ce recueil de poésie photographique se veut donc aussi agréable pour les yeux que pour l’esprit.

Le recueil de poésie photographique À fleur d’âge, d’Estelle Bonetto, et agrémenté des clichés de Daniel Paquet, est publié aux Éditions de la nouvelle plume.

Alice Côté Dupuis