«Turbo Goéland» de Marc Arseneau: Une réflexion à poursuivre

8 mai 2018
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Turbo Goéland de Marc Arseneau

Une réflexion à poursuivre

Après avoir apprivoisé l’écriture dans sa vingtaine avec À l’antenne des oracles, puis une certaine oralité et des artifices stylisés dans L’Éveil de Lodela, et enfin s’être mis dans la peau d’un poète acadien dans un contexte nord-américain dans Avec l’idée de l’écho, le poète Marc Arseneau poursuit quinze ans après sa dernière œuvre son exploration des figures stylistiques, des registres de la langue et de certains enjeux de société, avec un quatrième recueil publié aux Éditions Perce-Neige : Turbo Goéland.

Quand le quintet de jazz-rock acadien Les Païens lui a demandé la permission d’adapter un extrait de son poème « Tremblement » en chanson, Marc Arseneau s’est senti l’obligation de démontrer aux musiciens sa reconnaissance et sa solidarité en publiant un nouveau livre. C’est donc par un drôle de concours de circonstances, mais non sans une profonde sincérité que le poète a décidé de poursuivre l’œuvre amorcée en présentant quinze ans plus tard un recueil en continuité avec ses deux précédents, afin de former une trilogie.

Avec l’idée de l’écho, sa dernière œuvre, menait le lecteur de Moncton à Mamou, en Louisiane, jusqu’à Paris. Cette fois-ci, le « je » narrateur de ses poèmes, sorte de poète bohémien, se déplace à partir de Moncton et de sa région, en passant par Poitiers et Paris, jusqu’à l’Île du Cap-Breton. Dans ces espaces, le poète évoque, au départ, la vie urbaine et contemporaine, pour ensuite aborder la musique et l’Acadie marquée par l’américanité, raconte Marc Arseneau, qui ne manque pas d’évoquer, à Poitiers, le personnage de Jeanne d’Arc, qui engendre un cycle féministe, avant d’aboutir à des préoccupations plus écologiques et spirituelles.

À la fois chronologique et thématique, Turbo Goéland présente des poèmes rassemblés de manière hétéroclite, mais se faisant tous échos les uns aux autres en formant un tout néanmoins cohérent. Naviguant dans une pluralité de registres littéraires et linguistiques, le poète avoue avoir une écriture fortement influencée par la Beat Generation. Mon style d’écriture baigne dans l’emploi des figures à travers des tonalités variées où le rythme semble être à l’avant-plan. Mon écriture embrasse divers registres de langue; je me soucie des choix linguistiques. C’est un choix sociolinguistique, voire politique, affirme le poète acadien.

Impossible, en effet, de ne pas remarquer les titres de poèmes comme « viens shiner sur ma nuit » ou même le révélateur « enquête linguistique ». On remarque aussi les références aux Hay Babies, à Arthur Comeau et aux divers lieux comme Dieppe ou le Cap Enragé dans sa poésie : l’influence de l’Acadie est partout dans l’écriture de Marc Arseneau, tant dans les sujets abordés que dans ce choix sociolinguistique. L’Acadie est ma terre natale, c’est le lieu à partir duquel j’écris. Son histoire est riche, singulière, voire une clé pour comprendre l’Amérique depuis sa colonisation. Et je pense que je suis venu au monde au moment de son réveil culturel, à la suite d’une période de mutisme, et je me fais tout simplement un peu un témoin.

Avec ce nouveau recueil où le superlatif « turbo » évoque, pour le poète, la technologie, et « goéland », la nature, Marc Arseneau a voulu évoquer implicitement divers enjeux de la société en général, et particulièrement celle de l’Acadie. Il y a néanmoins des contrastes dans Turbo Goéland : Par exemple, au début du recueil, l’urbanisme est incarné par le biais de Moncton dans lequel le « je » se fait un peu « voyou » et se voit préoccupé par les médias. À la fin, dans un langage plus pastoral, incarné avec l’Île du Cap-Breton, il se préoccupe davantage d’un questionnement plus spirituel, explique l’auteur, qui traite finalement de la création d’un décentrement de la ville vers une existence plus rurale.

À la fin du recueil, Arseneau évoque même Mi’kmaki, le territoire autochtone sur lequel l’Acadie est née. Il me semble que ce territoire originel doit continuer à exister, affirme celui qui aimerait que les gens réfléchissent à leur mode de vie en lisant son recueil. Toutefois, Turbo Goéland ne se veut pas moralisateur; sa lecture est fluide et agréable, entre le ludisme et la critique. Le lecteur sera d’ailleurs témoin d’une évolution du « je » dans la traversée de l’œuvre, dont la majorité des poèmes sont courts et en vers libres, passant aussi du sonnet à la prose, et même du rap jusqu’à des envols plus lyriques. Le rythme est souvent au cœur de ma poésie, conclut le poète, qui aime jouer sur la musicalité et agencer ses poèmes de manière fluide et suivant une progression. Ça, c’est l’influence non pas de l’Acadie, mais de ses dix années comme disc-jockey au bar étudiant le Kacho de Moncton, qu’il évoque aussi dans Turbo Goéland!

Le recueil de poésie Turbo Goéland de Marc Arseneau est publié aux Éditions Perce-Neige.

Alice Côté Dupuis
9 mai 2018