«Chroniques tziganes II» de Daniel Soha: Réécrire l’histoire

25 avril 2018
Nouveauté de la semaine
Partagez

Chaque semaine, le Regroupement vous présente
une nouveauté franco-canadienne

Chroniques tziganes II de Daniel Soha

Réécrire l’histoire

L’auteur Daniel Soha – tout comme son personnage David, auteur lui aussi – a déjà raconté, il y a plusieurs années, l’histoire qu’il publie à nouveau aux Éditions du GREF. Dans Chroniques tziganes II, il reprend la saga de sa famille d’une façon complètement différente, prise d’un autre angle, exprimée d’une autre manière et avec d’autres procédés, avec de nouveaux textes, en la retravaillant et surtout, en s’adressant cette fois-ci à une interlocutrice : Laurette. Cette jeune fille redonnera des airs de jeunesse à David, et permettra aussi à cette histoire familiale presque improbable d’être véritablement entendue.

S’adresser au monde entier, c’est comme s’adresser à personne, explique l’auteur Daniel Soha pour justifier la publication, quatorze ans plus tard, d’un deuxième roman reprenant la même saga familiale. C’est que son personnage – qui est un peu l’alter ego de l’auteur – avait l’impression de l’avoir mal racontée, et surtout, que celle-ci n’avait pas trouvé son public : la première fois qu’il l’a racontée, l’histoire a été abordée d’un autre côté et sans avoir un public. Donc maintenant il a un destinataire, une interlocutrice qui est cette jeune fille; il veut la lui raconter à elle, et il trouve une éloquence supplémentaire pour le faire.

Se déployant donc grâce à deux trames narratives différentes, l’histoire présente d’un côté la relation entre David, un vieil auteur, et la jeune Laurette, qui entretiennent tous les deux une correspondance que Daniel Soha qualifie d’ « épistoriel » – c’est-à-dire épistolaire, mais par courriel –, et de l’autre, la saga de la famille de David sur 75 ans, traversant les deux guerres mondiales. Toutefois, le récit familial est trop important pour être raconté par bribes, à travers des courriels : dans cet échange de courriels avec cette jeune fille, il parle de questions personnelles, et de temps en temps, il fait allusion à l’histoire qu’il va lui raconter. Puis, d’autres chapitres s’ouvrent, et à ce moment-là, l’histoire se raconte elle-même, si vous voulez.

Le lecteur découvre donc en parallèle tant l’histoire d’amour presque absurde et qui ne peut avoir aucun avenir entre ce vieux monsieur et cette jeune fille, que cette saga qui raconte l’histoire d’une famille, mais principalement du grand-père qui quitte son pays, l’Autriche-Hongrie, parce qu’il y a fait une bêtise et il y est recherché. Alors il arrive en Amérique du Nord et lorsqu’il veut rentrer chez lui, la Première Guerre mondiale éclate, donc il met dix ans avant de pouvoir y retourner, raconte Daniel Soha, qui confirme qu’il s’agit de la véritable histoire de son propre grand-père. Lorsque celui-ci est enfin rentré chez lui, son pays avait changé; l’Autriche-Hongrie était devenue la Slovaquie, et il s’est retrouvé avec un passeport qu’il ne savait pas lire.

Le destin de son grand-père a donc été déterminé par un coup de crayon sur une carte, tout comme des millions de personnes à qui on a enlevé le passeport, les obligeant à se promener et à demeurer migrants constamment – d’où le titre du bouquin, car c’est l’histoire d’une migration sur deux continents et dans quatre pays. Le personnage de David est ainsi l’aboutissement de toute cette saga, et celui-ci a un vif désir de comprendre et de raconter : Ces gens-là, dans le feu de l’action, ils ont fait de leur mieux. Après, moi je suis le petit-fils de ce monsieur, donc je voudrais de toutes mes forces donner un sens à cette généalogie-là, mais force m’est de constater qu’il n’y en a pas.

« Deux mondes s’affrontent ici, au fil d’une même conscience : le présent, gavé, sénescent, médiocre, d’un goût douteux et d’une moralité inexistante, mais qui aspire désespérément à une grandeur qui lui échappe, et le passé, déchiré, écartelé par une Histoire aveugle et impassible, où nos aïeux, ne songeant qu’à survivre, atteignaient à leur corps défendant une grandeur dont ils n’avaient la plupart du temps même pas conscience. » – Chroniques tziganes II

En effet, Daniel Soha réalise que ce n’est pas parce que ces gens-là voulaient faire preuve de grandeur : ils ne voulaient pas, au contraire! Mais l’existence leur a donné deux guerres mondiales, et c’est comme ça qu’ils ont fait preuve de grandeur. Et donc nous, on aspire à cette grandeur-là, mais on n’y arrive pas, parce qu’on n’a pas le grand malheur qu’ils ont vécu. Et ça, c’est une absurdité, parce qu’on n’est ni meilleurs ni pires que ces gens-là, mais eux ont dû développer certaines qualités que nous, nous n’avons pas à développer.

Si l’auteur se demande véritablement comment de telles choses ont pu arriver à ces gens-là, il réalise aussi que son grand-père était néanmoins une vraie force de la nature, au sens propre comme au figuré! C’est qu’en racontant son récit familial, Soha nous fait découvrir La légende de Joe Magarac – sous-titre de son roman –, une vraie légende inventée par les métallurgistes croates de Pittsburgh, à propos d’une personne qui avait une force physique absolument colossale et qui pouvait plier les rails de ses muscles. Par une série de récits que m’avaient racontés mon grand-père et plusieurs indices, j’arrive à croire que ce personnage-là, c’était peut-être lui! C’était peut-être le grand-père lui-même, qui est devenu légende quand il a quitté les États-Unis.

Découvrant des aïeux aussi grandioses, le personnage de David ne peut qu’essayer à son tour de faire preuve de grandeur. Sa manière à lui, c’est d’être extraordinairement romantique et sentimental dans ses courriels à Laurette. Est-ce qu’il a du talent à le faire? Ou est-ce qu’il est ridicule? C’est le lecteur qui le dira, conclue Daniel Soha, visiblement fier de cette nouvelle version de ses Chroniques tziganes, qui a non seulement permis de mettre en lumière des destins tragiques et des passages méconnus de l’Histoire, mais qui a aussi redonné un nouveau souffle à l’histoire de sa famille, tout comme à son personnage de David, grâce à cette romance rêvée avec cette jeune fille qui l’a sauvé de la vieillesse.

Le roman Chroniques tziganes II de Daniel Soha est publié aux Éditions du GREF.

Alice Côté Dupuis
25 avril 2018