«Fragments de ciels» de Daniel Groleau Landry : Où sont les réponses?

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Fragments de ciels de Daniel Groleau Landry
Où sont les réponses?
La jeune génération semble presque unanimement ressentir un malaise, une inquiétude par rapport à sa propre mortalité et au manque de sens de la vie. La peur de ne rien laisser derrière et de se révéler insignifiant est bien présente, et c’est pourquoi le poète Daniel Groleau Landry tente, poétiquement autant que philosophiquement, de répondre à cette angoisse, et aussi à l’absurdité de la vie. Dans Fragments de ciels, son troisième recueil publié aux Éditions L’Interligne, il utilise sa propre expérience personnelle pour tenter de rejoindre l’universel et de montrer qu’on est plus que ce qu’on pense qu’on est.
« Au-dessus de la gare, le ciel est bleu est beau. Comme tout ce qui est beau, il ne répond à aucune question », écrivait le poète Patrice Desbiens en conclusion de L’Homme invisible / The Invisible Man. Cette citation, placée en exergue du nouveau recueil de Daniel Groleau Landry, a en quelque sorte orienté l’écriture du jeune poète, qui a créé Fragments de ciels en réponse à cette espèce de béatitude, de contemplation du beau, qui ne répond à aucune question. Alors je me demande, si le beau ne répond à aucune question, est-ce que la douleur, le laid du vécu affectif répond à des questions? explique-t-il pour situer sa prémisse de départ.
Si le titre du recueil se réfère à des retours en arrière, sur différents moments sa vie, différents tableaux qui sont, finalement, comme des fragments de mémoire, c’est parce que le poète s’est bel et bien inspiré de sa propre histoire, et que c’est lui-même qu’il met en scène dans ses poèmes. Ça a été écrit dans une phase de ma vie où j’étais vraiment en train de faire la paix avec des traumatismes et avec des anciennes versions de moi-même. C’était surtout pour que l’adulte que je suis aujourd’hui puisse parler à l’enfant que j’ai été, à l’adolescent que j’ai été et au jeune homme que je suis. C’était vraiment une façon d’entreprendre un dialogue avec soi-même, raconte le poète, dont le rapport affectif avec soi est l’un des thèmes fondateurs de ses trois recueils, tout comme la mémoire.
Pour Daniel Groleau Landry, la poésie est une façon d’actualiser des moments dans le réel, de capturer une bribe de tout le bourdonnement qui se passe autour de nous, afin de tenter de trouver des réponses. Toute ma vie, j’ai travaillé, fait des projets et des tentatives, mais je n’ai pas plus de satisfaction ou de réponses; j’ai juste une faim continue pour créer du sens et essayer de trouver une espèce de point d’ancrage dans le réel, avoue-t-il, désireux de réussir à capturer des souvenirs et des choses qui l’ont marqué, et de les recontextualiser en poésie pour les actualiser dans notre présent.
Les différents tableaux de Fragments de ciels se réfèrent donc à différentes thématiques et différents questionnements auxquels le poète a déjà dû faire face. En cinq parties, l’auteur s’intéresse d’une part au malaise qu’il ressent dans la vie, et à la nécessité de s’exprimer par l’art et par la poésie, de faire ressortir le beau pour s’en sortir, et ensuite, au malaise qu’il ressent avec la langue, en tant que Franco-Ontarien; du fait d’être un francophone en milieu minoritaire, et de l’identité linguistique. Dans le troisième tableau, « Le bourdonnement des jours », le poète écrit par rapport à l’amitié, et aussi au trip d’être artiste et de vivre une vie un peu dans la contreculture. Dans la quatrième partie, l’auteur se laisse davantage aller à un travail de l’image et de la musicalité, pour enfin tenter de trouver une réponse globale aux différentes hypothèses des différents chapitres, dans « Coda », la dernière portion.
Les poèmes de Fragments de ciels sont presque tous courts et punchés, avec une certaine musicalité, une richesse d’images et une densité, mais il y a aussi, selon les tableaux, différentes tentatives et recherches au niveau du style et du rythme. Alors que des portions comme « Babel » sont faites pour être lues à voix haute, dans une perspective performative, en raison de leurs sonorités, de leur cadence et de leur musicalité, d’autres, comme « Le bourdonnement des jours » ou « Coda », sont définitivement faits pour être lus, simplement, comme de la poésie. Il y a donc des textes présents dans le recueil qui sont performatifs, à deux niveaux : il y a la performance potentielle sur scène, donc de le déclamer, le dire de façon intense sur scène, et il y a aussi la performance littéraire, donc la tentative au niveau de la forme, au niveau du rythme et de l’espace-temps.
Mais au-delà de la forme privilégiée, Daniel Groleau Landry espère que les gens comprendront son intention à l’effet que l’adulte qu’il est aujourd’hui pardonne à l’enfant qu’il a été. Mais ce qu’il espère que les lecteurs retiendront le plus de son troisième recueil, c’est que c’est normal, même correct de sentir un malaise avec l’époque, et que même si toute la souffrance humaine est ancrée dans notre perception, dans notre sensibilité, dans notre affectif, à travers l’art et la poésie, à travers le processus de séparation de soi avec ses émotions et de décorticage du labyrinthe de notre esprit, on est capables de s’en libérer et de s’émanciper du bourdonnement; capables de se cristalliser dans le réel et d’être plus que ce qu’on pense qu’on est.
Le recueil de poésie Fragments de ciels de Daniel Groleau Landry est publié aux Éditions L’Interligne.
Alice Côté Dupuis
18 avril 2018