«Léa. J’ai la mémoire chagrine» de Micheline Tremblay : S’intéresser aux histoires

18 octobre 2017
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Léa. J’ai la mémoire chagrine de Micheline Tremblay 

 S’intéresser aux histoires

 

Chaque famille a de ces histoires qui font partie tantôt des tabous mystérieux, tantôt des événements mémorables incontournables, et qui finissent par se raconter encore des générations plus tard. Parfois inspirants, parfois choquants, ces récits familiaux témoignent dans tous les cas d’autres époques, d’autres mœurs, et c’est pourquoi elles fascinent autant. C’est en s’inspirant de l’histoire de sa grand-mère pour Léa. J’ai la mémoire chagrine, roman publié aux Éditions David, que l’auteure Micheline Tremblay a prouvé l’intérêt de s’intéresser à la vie de ceux qui nous ont précédés.

L’idée de départ vient d’un événement que ma grand-mère m’a raconté au sujet de son mariage. Son père avait refusé qu’elle épouse son amoureux parce que la sœur de celui-ci avait eu un bébé hors-mariage : un scandale qui déteindrait sur sa famille. Elle a fait alors le serment d’épouser le premier venu. Or, elle n’aimait pas vraiment ce premier venu qui lui a donné quatre enfants avant de mourir de la grippe espagnole en 1918. C’est ainsi que Micheline Tremblay raconte l’inspiration derrière son personnage de Léa, qui vit une situation semblable – amour et mariage impossibles, premier mari qui décède la laissant avec des enfants en bas âge –, malgré que l’auteure ait élaboré par la suite une histoire fictive dont les événements ne se rattachent plus vraiment à la réalité.

Roman historique se déroulant de la fin des années 1800 jusqu’aux années 1930 – parcourant environ 50 ans d’histoire – Léa. J’ai la mémoire chagrine est organisé en trois parties. Dans la première et plus longue portion, nous suivons la vie de Léa depuis sa naissance jusqu’à son impossibilité de marier l’homme qu’elle aime, en passant par sa transition de la campagne à la ville, où elle ira habiter chez une tante bien inspirante pour Léa. C’est vraiment intéressant, parce qu’on assiste à la transformation de la société à l’époque, puisque Léa naît à la campagne, et on assiste évidemment à la vie à la campagne, avec tout ce que ça a comme particularités à l’époque, avec le curé qui est omniprésent et le père qui boude parce que sa femme lui a donné une fille pour commencer. On est vraiment dans une époque de terroir, explique le directeur général des Éditions David, Marc Haentjens.

Pourtant, lorsqu’elle arrivera chez sa tante à Montréal au tournant du siècle, vers 1900, Léa découvrira la modernité sous tous les aspects : évidemment l’aspect technique et pratique, mais aussi l’aspect social et humain. Donc la tante la débarrasse de tous les comportements, les obligations apprises à la campagne, ajoute l’éditeur, précisant que la deuxième partie du récit plonge dès lors les lecteurs dans l’histoire de Ronald et Rodolphe, deux frères dans un orphelinat, dont l’un est infirme et l’autre, atteint de déficience mentale. Là, on est rendus dans les années 1920 environ, et donc on assiste là aussi à toute la modernisation de Montréal : le tramway, le cinématographe, la radio, plein de nouveautés de cette époque-là.

Les amateurs d’histoire seront donc ravis par les éléments historiques insérés dans le roman fictionnel de Micheline Tremblay, et par la rigueur de ses recherches, afin de livrer une histoire la plus vraisemblable possible. J’ai consulté des photographies d’époque pour décrire, entre autres, ce qui épate Léa à son arrivée à Montréal : les rails des tramways qui s’entrecroisent, les fils électriques, etc. J’ai consulté les catalogues du grand magasin Carsley pour en décrire les produits – les robes entre autres – et le prix des différents vêtements, raconte l’auteure, en plus d’avouer avoir aussi consulté des journaux d’époque pour ses petites annonces et offres d’emploi, des documents et discours historiques, et même des horaires de trains, tout en faisant des recherches sur les niveaux de langue à la campagne en comparaison d’à la ville, afin d’être la plus précise possible dans les aventures de sa Léa.

Micheline Tremblay avait déjà publié plusieurs livres avec son conjoint, Guy Gaudreau : des études critiques de livres qui avaient été un peu oubliés dans le passé. Donc elle a effectivement tout un profil de chercheure, mais là, elle s’est vraiment lancée dans la fiction. Elle navigue donc entre les deux : il y a une base historique très bien documentée, mais qu’elle a exploitée pour en faire une bonne histoire fictive qui est vraiment intéressante, décrit Marc Haentjens à propos de son auteure et de sa capacité à livrer un roman aussi instructif qu’inventif. En plus du reste, les personnages qu’elle a créés sont à ses dires très inspirants, et démontrent une belle résilience.

C’est dans la troisième partie du livre, maintenant dans les années 1930 avec Juliette et ses quatre frères et sœurs, qu’on apprend véritablement les liens qui unissent les personnages des trois portions du roman. Nous sommes donc dépaysés d’une partie à l’autre, mais c’est dans cet ultime tableau que l’histoire de Léa se dévoilera entièrement et que tous les mystères se résoudront. Micheline a pris beaucoup de temps pour réfléchir à la structure de son livre; elle n’a pas voulu que ce soit linéaire, elle a voulu au contraire nous surprendre, sortir un peu du schéma traditionnel en nous faisant changer d’histoire d’une partie à l’autre, développe l’éditeur, qui confirme qu’après le premier chapitre, le lecteur peut être déséquilibré par l’abandon de l’histoire de Léa, à laquelle on avait adhéré, mais qu’on plonge tout de même avec beaucoup de plaisir dans les autres histoires, et globalement dans ce roman à l’écriture fluide et vivante.

Le roman Léa. J’ai la mémoire chagrine est publié aux Éditions David.

Alice Côté Dupuis
18 octobre 2017