«Moi, Sam. Elle, Janis» de Jean Boisjoli : Jouer avec les cartes qu’on a reçues
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Moi, Sam. Elle, Janis de Jean Boisjoli
Jouer avec les cartes qu’on a reçues
Après avoir abordé la réconciliation avec son passé dans son précédent roman, La mesure du temps, l’auteur Jean Boisjoli s’intéresse maintenant à la fatalité : à quel point notre lieu de naissance et notre enfance ont un impact sur notre destin? Le personnage principal de son plus récent roman, Moi, Sam. Elle, Janis, publié aux Éditions David, doit-il se contenter d’accepter sa vie telle qu’elle est? Ne peut-il que « jouer avec les cartes qu’il a reçues », tel qu’il le mentionne? Dans ce huis clos néanmoins plein d’action et de mystères, l’auteur aborde l’absurdité de la vie et le sort réservé aux plus démunis.
La mère de Sam a quitté l’appartement familial pour ne plus revenir, il y a plusieurs années déjà. Sam est donc élevé par un père alcoolique et violent, mais lorsqu’il retrouve celui-ci mort dans leur sous-sol moisi du Chemin Montréal, dans le quartier Vanier d’Ottawa, Sam n’aura d’autre choix que de se tourner vers les Bergers de l’Espoir pour survivre, avant d’être accepté en famille d’accueil chez un couple de professeurs du quartier de la Côte-de-Sable. Il ne peut pas s’adapter, raconte l’auteur, Jean Boisjoli, puisqu’il part d’une famille qui n’a pas voulu s’en occuper à une famille qui s’en occupe presque trop. Janis, de son côté, a aussi connu une enfance difficile, mais plutôt dans une commune hippie de la forêt du Manitoba.
C’est toutefois à Ottawa que les deux se rencontrent et qu’ils vivent une relation intense, mais toxique. C’est lorsque le corps de Janis sera retrouvé violenté dans un boisé du Lac Meech que la vie de Sam basculera pour de bon. À la télévision, il voit un journaliste commenter la découverte d’un cadavre, et il se rend compte que c’est Janis. Il perd la tête en voyant le corps de celle qu’il aimait, alors il prend un couteau pour se tailler les poignets, mais les parents de sa famille d’accueil descendent au sous-sol à ce moment-là et… ça nous mène à trois cadavres : le père de Sam, Janis, et l’homme de la famille d’accueil, le troisième étant celui pour lequel Sam sera accusé de meurtre.
L’avocate de Sam plaidera la défense d’aliénation mentale, afin de savoir si, au moment du crime, il était sain. Pouvait-il distinguer le bien du mal, dans l’état où il était? Ce n’est pas la même chose que l’inaptitude à subir un procès, souligne Jean Boisjoli, qui a lui-même été avocat durant de nombreuses années. C’est donc au psychiatre assigné par le tribunal de se prononcer sur l’état et la santé mentale de Sam au moment du crime, et c’est à lui que Sam se confie tout au long du roman, dans son bureau de l’Hôpital Royal Ottawa. Sam lui raconte toute l’histoire de sa vie, les difficultés avec son père, avec sa mère. Ensuite, il parle de sa relation avec Janis, et on fait entrer Janis; même si elle est morte, il la fait parler pour raconter sa partie de l’histoire, explique l’auteur.
Bien qu’il s’agisse d’un huis clos, le roman contient aussi beaucoup d’action, puisque Sam, ce garçon un peu effronté, qui tutoie le psychiatre et l’appelle « Doc », raconte et décrit tout ce qui s’est passé dans sa vie ou presque. Le psychiatre doit lui poser des questions, l’amener à parler; il est bougon un peu, il est rétif, le garçon, parce qu’il n’a pas envie d’être là, et parfois, il est très frondeur, il l’envoie promener. Ce jeune garçon dépeint par Jean Boisjoli est représentatif du milieu duquel il est issu, mais si l’auteur a voulu dire les vraies choses et illustrer la vraie dureté du quartier Vanier, ce qui donne un roman assez dur, avec de la violence, il a aussi voulu éviter à tout prix de devenir caricatural et affirme que le résultat demeure réaliste, dans le contexte.
Ayant beaucoup lu sur des cas célèbres où la question d’aliénation mentale était en cause, Jean Boisjoli a aussi consulté deux psychologues, un psychiatre, des travailleurs sociaux, des policiers, ainsi que deux avocats criminalistes, afin que son récit soit le plus crédible possible. C’est un gars de 22 ans, d’un quartier défavorisé, alors il ne parle pas et ne réfléchit pas de la même façon que moi ou que mes personnages précédents. C’est comme être un comédien et entrer dans la peau du personnage; c’est pour ça que j’ai voulu observer, m’imprégner de la réalité pour mieux la rendre, raconte l’auteur, aussi inspiré par les auteurs qu’il a beaucoup lus, comme Kafka, Dostoïevski, Camus et Anne Hébert.
À l’origine du roman de Jean Boisjoli se trouvent aussi des écrits de Boris Cyrulnik, qui traitent des blessures subies dans le ventre de la mère, qui laisseraient des lésions physiques au cerveau et qui auraient une influence sur la personne que l’on devient. Les études d’un autre médecin, de Vancouver, celui-là, lui ont aussi confirmé que les gens qui vivent dans la rue, en situation de dépendance, ont pour la grande majorité vécu une enfance difficile. Je ne dirais pas que l’intention de mon roman était de brosser le portrait de la jeunesse actuelle, mais je pense qu’on est dans une société qui se cherche.
Selon mon expérience professionnelle, leur histoire est le triste reflet d’une génération perdue qui se sent larguée par une société à la dérive. Des écorchés de la vie, j’en vois de plus en plus souvent dans ma pratique. Ils sont de plus en plus jeunes.
– Extrait de Moi, Sam. Elle, Janis, de Jean Boisjoli (Éditions David, 2019)
À la fin, le psychiatre aura besoin de temps pour réfléchir avant de soumettre son rapport au tribunal et d’aller témoigner. Il n’y a personne qui va dire s’il était sain ou non au moment du meurtre. Ça ne relève pas du psychiatre; ce sera au juge et au jury de décider si la défense tient. Évidemment, chaque lecteur confronté à l’histoire de Sam et de Janis condamnera ou non le jeune homme, mais peut-être aussi la société dans laquelle nous vivons. Je voudrais que mon roman porte à la réflexion à propos du sort dans lequel on laisse certaines personnes. On dit que c’est une jeunesse qui se sent écorchée, perdue, mais qu’est-ce qu’on va faire pour changer ça? Je ne suis pas sûr que notre société offre les outils qu’il faut aux personnes qui ont des dépendances et qui ont des vies difficiles comme ça.
Le roman Moi, Sam. Elle, Janis, de Jean Boisjoli, est publié aux Éditions David.
Alice Côté Dupuis
4 septembre 2019