partir ou rester?
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Mouvements de Catherine Voyer-Léger :
partir ou rester ?
Toute sa vie, l’écrivaine Catherine Voyer-Léger a sillonné les routes et visité les aéroports et les hôtels des quatre coins du pays, et même au-delà. Entre les va-et-vient de son enfance sur l’autoroute 15 et ceux qu’a exigés sa carrière qui l’a menée vers divers lieux, Voyer-Léger a connu une vie des plus mouvementée, jusqu’à ce qu’elle décide d’adopter un enfant et de s’installer de façon plus stable. C’est ce tiraillement entre l’envie de bouger et celle de s’enraciner que Voyer-Léger a décidé de creuser dans Mouvements, un recueil de récits entre l’essai et la poésie – dont un projet photo-texte – publié aux éditions Prise de parole le 15 février dernier.
Mouvements repose sur la dualité entre l’envie d’avoir un foyer ou un camp de base, et celle d’être en déplacement, dans l’action. Le recueil réunit ainsi deux projets étroitement liés. D’abord, Entre-deux est, raconte Voyer-Léger, unprojet photo-texte qui s’interroge sur la place du déplacement dans nos vies un peu surchargées. C’est à la fois grisant et assommant d’être toujours dans des chambres d’hôtel, dans des moyens de transport, confie-t-elle pour expliquer son souhait de s’interroger sur cet étourdissement-là.
Nous amenant avec elle dans différentes villes et différents non-lieux – ces endroits comme les gares, les aéroports, les stations de métro, où les gens transitent sans vraiment s’investir –, mais aussi dans son appartement, l’autrice accompagne chaque photo d’un texte d’environ une page. Le récit Entre-deux prend surtout une tournure lorsque la fille de Voyer-Léger, adoptée à l’âge de quinze mois, fait irruption dans sa vie et lui impose un surplace, quoique très actif. Dès que ma fille est entrée dans ma vie, j’ai été fascinée par les traces qu’elle laissait dans l’appartement, raconte celle qui s’est rapidement mise à photographier toutes ces marques d’enfance.
Sans même chercher à jouer les photographes professionnelles, l’autrice a accumulé sur plusieurs années des centaines de photos, que ce soit au fil de ses déplacements ou à l’intérieur de son appartement, et ce sont ces photos qui lui ont inspiré les récits d’Entre-deux. On est vraiment dans une prise de photos rapide, facile, parfois même carrées, à la Instagram. Pour moi, c’était important qu’il y ait cet aspect-là dans le projet : cette idée de montrer le caractère étourdissant du mouvement, à la fois dans les photos et dans les textes. Ce n’est que lorsque sa fille arrive dans sa vie que l’esthétique des photos de Catherine Voyer-Léger change : Les photos de l’intérieur de la maison sont très colorées, plus dans l’enfance.
Terminer avec la prémisse
Le second projet qui forme Mouvements est intitulé 15 Nord et constitue un court récit des allers-retours que l’écrivaine effectuait en voiture avec son père, les week-ends, pour passer du logis d’un à l’autre de ses parents. Allant jusqu’à affirmer dans son texte que l’autoroute est le pays de son enfance, Voyer-Léger voulait cette seconde partie comme une sorte de prémisse à la première : on peut y voir en effet l’annonce d’une vie de mouvements, l’annonce d’une vie sans attaches. L’autrice s’y dévoile de façon très intime : Ç’a été très long dans ma vie avant que je décide de fonder un foyer. Même dans mon enfance, ce n’était pas simple, en raison de ma situation familiale. En adoptant un enfant, c’était un peu le choix que je faisais, de retrouver une vie plus sédentaire.
Plus linéaire et moins fragmenté qu’Entre-deux, 15 Nord comprend lui aussi des pans de vie très personnels : À force d’écrire, j’ai compris que quand on part de soi dans l’écriture, les gens le reçoivent en pensant à eux. Celle qui espère que ses récits très personnels sauront rejoindre l’universel aimerait que ses lecteurs et lectrices se questionnent sur leur rapport au paysage, sur le territoire ou sur leur ancrage dans les lieux. On dit que le « je » est égocentrique, mais moi, je crois au contraire que c’est une posture d’humilité : « Je » suis la seule chose que je connais vraiment bien dans la vie, donc « je » pars de moi-même, mais dans une approche d’ouverture aux autres.
Revenir aux sources
Mouvements ayant été écrit il y a presque dix ans – Entre-deux est né au Festival Québec en toutes lettres, dans une installation intitulée Œuvres de chair –, Catherine Voyer-Léger a longtemps cherché la maison d’édition qui serait prête à publier un projet aussi différent dans la forme et aussi personnel dans le contenu. C’est finalement chez Prise de parole, là où elle a dirigé, en 2021, le recueil de poésie collectif En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre, que cette ancienne directrice générale du Regroupement des éditeurs franco-canadiens a trouvé un allié : [J’ai eu]l’impression de revenir à mes premières amours, dit-elle. Je trouve ça brillant que nos éditeurs aient la folie de réinventer des formes, actuellement, et d’accepter des textes qui sont hors norme par rapport à notre édition traditionnelle. Pour une autrice comme moi, c’est vraiment une bonne nouvelle.
Le recueil de récits Mouvements de Catherine Voyer-Léger est paru aux éditions Prise de parole.
Alice Côté Dupuis
mars 2022