«Mère(s) et monde» de Sanita Fejzić : Le cri du cœur d’une mère

15 avril 2020
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Mère(s) et monde de Sanita Fejzić :
Le cri du cœur d’une mère

Mère(s) et mondeL’album jeunesse Mère(s) et monde, écrit par Sanita Fejzić et traduit par Sylvie Nicolas, est maintenant disponible aux Éditions Bouton d’or Acadie. Il s’agit de la traduction du poème (M)other, qui a valu à l’autrice d’être finaliste au CBC Poetry Prize en 2018. L’album met en scène des incidents avec le médecin, les maîtresses d’école et la directrice de l’école qui cherchent de manière détournée à trouver un père pour ce garçon né d’un couple homoparental. Sous forme de lettre à son fils, cette œuvre, illustrée ici par Alisa Arsenault, constitue une sorte de cri du cœur.

En tant que mère non biologique de son fils, Sanita Fejzic a souvent l’impression d’être oubliée. Non pas de son fils ni de sa famille, mais plutôt de la société civile – le médecin, à la naissance de son fils, ou les enseignants du petit : tout le monde s’évertue à vouloir trouver une figure paternelle pour son fils. En gros, c’est une lettre d’amour à mon fils d’une part, mais aussi [un texte] pour mettre de l’avant les barrières sociales auquel on fait face en tant que famille homoparentale. Il y a des gens qui ont du mal à comprendre qu’il n’y a pas de père.

Pourquoi cette obsession a vouloir trouver un père à cet enfant? Avoir deux mères n’est-il pas suffisant? L’enfant ne sera-t-il pas aimé tout autant? Et son développement en sera-t-il réellement affecté? L’autrice doit en effet se battre au quotidien contre ces stéréotypes de la famille « idéale ». Mais, au fond, qu’est-ce que la famille idéale? Qu’un enfant ait deux mères, deux pères ou un père et une mère – voire même un seul parent –, il reste que cet ensemble forme une famille. Pourtant, certains trouvent difficile de comprendre les familles issues de la diversité.

Pour en finir avec l’hétéronormativité

Avec Mère(s) et monde, Sanita Fejzić voulait faire tomber les tabous et dénoncer l’hétéronormativité qui règne dans la société. L’autrice m’a d’ailleurs fait remarquer combien l’homophobie est dénoncée et combattue dans la société, mais que rien n’est fait pour dénoncer l’hétéronormativité. Jusqu’à un certain point, ce phénomène est beaucoup plus insidieux puisqu’il est, selon elle, institutionnalisé. Et cela commence dès la naissance des enfants issus de l’homoparentalité.

Pour remédier à la situation, l’autrice croit que son livre devrait être dans toutes les écoles canadiennes. C’est un livre qui devrait être, selon moi, [présent] dans toutes les classes d’enfants, à des fins éducatives et de sensibilisation. Parce que les écoles se veulent très progressives, mais c’est dans les écoles qu’on a eu, justement, le plus de difficultés. L’autrice m’a raconté une situation où l’enseignante de son fils lui a demandé si l’on pouvait dire que son oncle était son père, puisqu’ils allaient parler en classe de la famille. Dans son cours, elle voulait parler de la diversité des familles en présentant l’histoire de mon fils de manière à faire passer mon frère pour son père. C’est complètement inacceptable comme question! Mon frère, c’est l’oncle de mon fils ; ton frère, c’est l’oncle de ton fils. Cette situation n’est pas présente dans le livre. Toutefois, Sanita Fejzić y mentionne la fois où la directrice de l’école lui a proposé d’inscrire son fils à des cours de Karaté pour que celui-ci ait un modèle masculin en la personne du sensei (professeur de Karaté).

En cherchant une partie manquante en vertu des normes sociales, on efface sans s’en rendre compte la « deuxième maman ». Le poème prend donc la forme d’un cri du cœur pour Sanita Fejzić. J’en avais marre d’être effacée, puisqu’à chercher un père, on efface la mère non biologique et on la délégitimise. Je ne sais pas ce que je suis dans leur tête, mais je ne suis pas assez. L’écriture de ce poème a servi d’exutoire à ces émotions-là. C’est une manière pour moi de réclamer mon espace. Je réclame mon espace et je me vide de cette blessure-là.

Un titre évocateur

Le titre de l’ouvrage s’inspire justement de cette hétéronormativité institutionnalisée dans le cadre légal de la naissance d’un enfant. Sur l’acte de naissance des enfants nés en Ontario, il n’y a pas de place pour écrire le nom de deux mères. La raison pour laquelle j’ai mis entre parenthèses le M de (M)other, c’est parce que sur l’acte de naissance de l’Ontario de mon fils, il y a écrit « mother » et il y a un autre espace, où il est écrit « father », barre oblique, « other parent ». Donc je dis « (M) other », parce qu’il n’y avait pas assez de place sur ce papier pour écrire deux fois « mère ».

Pour tous

Ce livre s’adresse tant aux enfants qu’aux adultes. L’autrice espère ainsi que son ouvrage se retrouvera sur les étagères des bibliothèques scolaires. Les enfants sont très tolérants et ouverts d’esprit, pourvu qu’on leur en donne la possibilité. Ça s’adresse vraiment à tout le monde, parce que les parents aussi vont pouvoir apprécier cette histoire-là. Puisqu’à la base, c’est un poème dédié aux adultes. Donc oui, c’est pour tout le monde.

Même si son œuvre s’adresse à tous types de lecteurs, tous n’en retireront pas le même bénéfice. En fait, la poète souhaite que les enfants soient émerveillés par les illustrations et l’histoire. Pour les adultes, elle souhaite qu’ils comprennent que la recherche du père « manquant » ou de la mère « manquante » chez une famille homoparentale est une aberration. C’est une quête susceptible de blesser la mère ou le père non biologique, et de laisser sous-entendre son effacement. Sanita Fejzić voudrait en outre que les femmes homoparentales lisent son livre, puisqu’elle aurait elle-même souhaité lire ce genre de livre en attendant la naissance de son fils.

L’album jeunesse Mère(s) et monde de Sanita Fejzić est paru aux Éditions Bouton d’or Acadie, ainsi que sa version originale anglaise (M)other. Une lecture faite par l’autrice est également disponible en vidéo sur YouTube.

Julien Charette
15 avril 2020