Critique de «Memoriam» par Lyne Gareau

Memoriam : que s’est-il vraiment passé à Paris ce jour-là?

25 mai 2021
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En mai 2021,

plongez dans Memoriam,
de Michel Picard
paru aux Presses de l’Université d’Ottawa

Lyne Gareau est passionnée de littérature et de langue française, deux assises qui ont orienté sa carrière dans l’enseignement et l’écriture. Née à Montréal, elle s’est installée en Colombie-Britannique en 1979, séduite par la beauté de la côte ouest. Elle y a fait une maîtrise puis a enseigné le français à l’Université Capilano pendant près de 20 ans. Son tout premier roman grand public, La Librairie des Insomniaques, a été publié aux Éditions du Blé en 2017. On lui doit également deux ouvrages jeunesse (Isalou et Emily Carr : une artiste dans la forêt) et un recueil (Le Chat Janus). Elle met en ce moment les dernières retouches à un « roman-théâtre » qui s’intitule Les Didascalies et dont la parution est prévue pour 2022. L’auteure partage aujourd’hui sa vie entre Vancouver et l’île Saturna.

Par Lyne Gareau

 

Est-il acceptable de se livrer à des expériences sur des êtres humains non consentants? Le bien commun a-t-il préséance sur les libertés individuelles? Qu’en est-il du droit à la vie privée? Jusqu’où peut-on aller pour arracher des renseignements à un ennemi… par soif de connaissance ou… pour se venger? Les chercheurs peuvent-ils déroger au code de déontologie? Qu’est-ce que le terrorisme, et pourquoi les gens y ont-ils recours?

Autant de questions qui se sont imposées à moi, au cours de la lecture du roman Memoriam. Il ne s’agit pourtant pas d’un ouvrage de philosophie, mais bien d’un roman à suspense scientifique, une lecture d’été qui s’apparente à un bon vieux Bob Morane — pour ceux et celles qui s’en souviennent. On y trouve un héros amateur de cappuccino, ses copains, une touche de science-fiction, un peu d’espionnage, mais aussi des secrets de famille et des ennemis.

Le livre, composé de courts chapitres, est écrit dans une langue simple et claire qui convient tout à fait au genre. On voit que l’auteur, Michel Picard, a pris plaisir à mener des recherches dans le domaine de la médecine et à combiner plusieurs questions qui le touchent avec son expertise en analyse de renseignements criminels.

Il ne s’agit pourtant pas d’un ouvrage de philosophie, mais bien d’un roman à suspense scientifique, une lecture d’été qui s’apparente à un bon vieux Bob Morane.

L’intrigue débute en 1990, à Paris. Nous y suivons un couple, Louis et Dominique, qui se rend à un mystérieux rendez-vous Place Beaubourg. La description des cafés, de la musique, du trajet, du centre de danse du Marais et de la foule environnante m’a immédiatement donné envie de m’acheter un billet pour m’envoler vers la Ville Lumière, tant il y a d’ambiance dans cette séquence qui se terminera toutefois par une explosion.

Nous nous retrouvons ensuite à Montréal, en 2015, à l’Institut de recherche sur la maladie d’Alzheimer. Dominique a perdu la vie lors de l’attentat de Paris et son mari, Louis, gît dans un lit, désorienté, immobile et sans expression… toujours suspecté d’avoir participé à l’attentat terroriste de Paris.

Leur fils Philippe est maintenant un jeune et brillant chercheur à l’institut. Il désire prouver l’innocence de son père en se lançant à la recherche des souvenirs enfouis dans le cerveau de celui-ci. Afin « que tu partes l’esprit tranquille », dit-il à son père, qui semble pourtant n’y rien comprendre. Il est clair que Philippe a surtout besoin de découvrir la vérité pour lui-même.

D’autre part, les services secrets s’intéressent également aux recherches de Philippe, car si les résultats en sont concluants, cela pourrait éventuellement leur permettre de fouiller dans la tête de terroristes afin d’élucider certains cas.

Camille, la sœur de Philippe, n’est pas impressionnée outre mesure à l’idée que celui-ci mène de telles expériences sur leur père. Lorsque l’infirmière, Germaine, exprime à son tour certaines réticences devant ce qu’il se propose de faire, Philippe rétorque : « Moi aussi je me bats avec ma conscience tous les jours. » Les scrupules de Philippe seront cependant de courte durée, puisqu’il pratiquera peu de temps après une incision dans le bras de son père pour pouvoir brancher le contenu de son cerveau directement à un ordinateur et à un écran, sur lequel on espère projeter ses souvenirs.

Philippe joue en quelque sorte le rôle du détective dans le cadre de ce récit. Mais alors qu’en général les enquêteurs de romans sont extrêmement futés, Philippe fait fi de plusieurs indices qui me semblaient pourtant importants. Ainsi, il ne s’interroge pas longtemps sur l’apparition d’un rapport de la police secrète dans son album de photos, et il lira le journal de sa mère plutôt superficiellement — or je reste persuadée qu’il se trouvait toutes sortes de choses intéressantes dans les pages qu’il a sautées. Et que dire de la présence de cette énigmatique infirmière « qui ne dort jamais »? Ça aurait pourtant dû lui mettre la puce à l’oreille. Qu’importe ! Philippe, doué pour la recherche et pour la résolution de mystères scientifiques, fera finalement le jour sur cette affaire. La vérité ne se trouve cependant pas nécessairement là où il la cherchait.

J’ai grandi au Québec, à l’époque des écoles catholiques. Adolescente, je m’étais fait une vision de l’Enfer tout à fait personnelle : une salle de cinéma où seraient assis tous mes amis et membres de ma famille. À l’écran, on projetterait le film de mon existence, sans aucune coupure. Mes petites trahisons, les conversations où j’aurais peut-être un peu malmené quelqu’un que j’aimais pourtant beaucoup, les erreurs stupides que j’avais, Dieu merci, réussi à camoufler, mes moments les plus embarrassants; ma vie entière serait exposée à tous. La diffusion des mémoires de certains personnages de Memoriam m’a donc paru quelque peu… disons… diabolique, et je me suis franchement réjouie de ce que le père de Philippe ait pu « partir » en gardant secrets la plupart de ses souvenirs.

À moins que Philippe les ait conservés sur un disque dur, et cela, nous le découvrirons peut-être en lisant le prochain tome, dont l’auteur a déjà terminé la rédaction; ou le tome suivant, en cours d’écriture.

En attendant de pouvoir sonder les images et souvenirs des gens autour de nous pour les projeter sur un écran, nous pouvons toujours créer de toutes pièces des personnages sympathiques, des personnages comme Germaine, alias la Tornade Mauve, ou comme Camille, Kim Chung Li, Bill Fisher et le Grand Shakim. Ce que Michel Picard réussit fort bien.

Pour en savoir plus...

Memoriam

Plongez dans un thriller scientifique avec le roman Memoriam de Michel Picard publié chez les Presses de l’Université d’Ottawa.

Philippe, jeune neurologue, consacre sa carrière à la maladie d’Alzheimer. Sa seule motivation : prouver l’innocence de son père, atteint d’Alzheimer, d’allégations de complot terroriste, qui a coûté la vie à sa mère. 

Son acharnement l’amène à transgresser certaines limites au grand désespoir de sa sœur aînée, qui cache aussi un important secret.

Les avancées lentes et difficiles du chercheur prennent une tournure inédite à la rencontre du directeur d’une entreprise spécialisée en neuroscience. Encouragé par l’apport de la société, dont l’ajout d’un patient quelque peu mystérieux, Philippe fait finalement les percées qu’il espérait. 

Nonobstant, Philippe pousse encore plus ses techniques de recherche sur la mémoire et pour protéger la vie, déjà fragile, de son père. Réussira-t-il à trouver le véritable terroriste dont l’identité se cache quelque part dans les ténèbres cérébrales de ses deux patients ?

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