Sonya Malaborza signe une traduction exemplaire
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En février 2021,
découvrez L’accoucheuse de Scots Bay,
d’Ami McKay, traduit par Sonya Malaborza
paru aux Éditions Prise de parole
Originaire d’Ottawa, Ariane Brun del Re est présentement stagiaire postdoctorale Banting à l’Université de Montréal, où elle étudie l’inscription de la francophonie canadienne dans la littérature québécoise récente. Elle est spécialiste des littératures franco-canadiennes (Acadie, Ontario français, Ouest francophone), qu’elle a eu l’occasion d’étudier dans le cadre de ses études de maîtrise et de doctorat. Grande tricoteuse, elle aimerait beaucoup faire partie de la Société des brocheuses occasionnelles comme les personnages de L’accoucheuse de Scots Bay.
Par Ariane Brun del Re
Note de l’autrice : J’ai décidé d’adopter l’écriture inclusive car je me voyais mal parler des “lecteurs” de ce roman très féminin et féministe. D’un autre côté, je souhaitais aussi être plus inclusive que me le permet le terme “lectrices”.
Depuis sa parution en 2006, The Birth House d’Ami McKay s’est écoulé en plus de 250 000 exemplaires, un engouement qu’on saisit tout de suite en lisant les premières pages de la traduction française, pour ne pas dire acadienne, de Sonya Malaborza. Parue aux Éditions Prise de parole sous le titre L’accoucheuse de Scots Bay, le roman raconte l’histoire de Dora, première femme de la lignée des Rare depuis cinq générations.
À dix-sept ans, Dora rêve de se marier et de fonder une famille, comme le font la plupart des jeunes filles de son village. Par contre, rien ne semble indiquer qu’elle y parviendra. Comme la Première Guerre mondiale bat son plein, la plupart des jeunes hommes de son âge sont partis au front. Les parents de Dora, qui élèvent une famille nombreuse avec peu de moyens, ne seront probablement pas en mesure de lui trouver un bon parti. D’autant plus que les habitants de Scots Bay, petit village aux abords de la baie de Fundy, en Nouvelle-Écosse, se méfient depuis toujours de la jeune femme née avec une « coiffe sur le visage » (c’est-à-dire une partie de la poche de liquide amniotique), ce qui lui donnerait peut-être le don « de communiquer avec les animaux, de pressentir la mort et d’entendre chuchoter les esprits » (p. 17-18).
Le travail de Malaborza est si exemplaire qu’on ne s’étonnerait pas de retrouver L’accoucheuse de Scots Bay parmi les finalistes de l’édition 2020 (reportée au printemps 2021) du prix du Gouverneur général en traduction.
Lorsque Marie Babineau, mieux connue sous le nom de « M’ame B. », l’accoucheuse mi-fée mi-sorcière du coin, offre de prendre Dora sous son aile pour lui transmettre son savoir, la mère de cette dernière ne peut que l’encourager à accepter. D’abord ambivalente, Dora découvre combien les femmes de sa communauté ont besoin d’elle et de M’ame B., surtout lorsque le docteur Thomas décide d’ouvrir une maternité à proximité. Il entend faire profiter les femmes du comté de Kings des « progrès de la science » (p. 139). Sa méthode consiste à « contrôler [le] déroulement » des accouchements comme un « maître d’œuvre » (p. 92) : grâce à un cocktail de médicaments, il administre le « sommeil crépusculaire » à la mère en couches et se charge d’« extraire » (p. 170) le bébé tandis qu’elle est inconsciente.
Dora est vite déchirée entre sa nouvelle vocation et une offre inattendue : « Quand tu viens d’une famille de six garçons puis que tes parents ont pas beaucoup d’argent, une demande en mariage, c’est un cadeau qu’on t’offre, pas un choix que tu fais. » (p. 367-368) Mais qu’en est-il lorsque le prétendant en question est aussi fortuné que paresseux et courailleux?
L’accoucheuse de Scots Bay nous plonge dans le quotidien souvent difficile mais également tendre et croustillant des femmes qui habitent en milieu rural au début du XXe siècle. Le tout se déroule sur une toile de fond historique : outre la Première Guerre mondiale, l’explosion de Halifax survenue le 6 décembre 1917, la pandémie de Grippe espagnole de 1918 et le mouvement pour les droits des femmes aux États-Unis à la même époque viendront transformer la jeune protagoniste, qui, de chapitre en chapitre, devient une adulte.
Reprenant la forme plutôt féminine du scrapbook, le roman intègre toutes sortes de documents à la narration, comme autant de surprises pour les lecteur(trice)s : entrées de journal intime, cartons d’invitation, coupures de presse, annonces publicitaires, correspondance et même, à la toute fin, le fameux Livre des saules dans lequel M’ame B. a consigné son savoir d’accoucheuse et de guérisseuse.
L’accoucheuse de Scots Bay nous plonge dans le quotidien souvent difficile mais également tendre et croustillant des femmes qui habitent en milieu rural au début du XXe siècle.
Le travail de Malaborza est si exemplaire qu’on ne s’étonnerait pas de retrouver L’accoucheuse de Scots Bay parmi les finalistes de l’édition 2020 (reportée au printemps 2021) du prix du Gouverneur général en traduction. Plutôt que de se contenter de faire passer le texte de l’anglais vers le français, Malaborza a effectué des recherches minutieuses afin de « transmettre au lecteur francophone l’univers référentiel de l’autrice » (p. 558). Dans le mot de la traductrice qui figure à la fin du roman (mais qu’il faut lire en premier pour bien apprécier la qualité de sa traduction!), elle explique s’être attardée « à chacune des chansons qui figurent dans ce roman pour en analyser l’origine, le thème, le registre, le rythme et la période » (p. 558) afin d’en proposer des équivalents adéquats, comme « Le temps des cerises » ou « À la claire fontaine ». Résultat : les lecteur(trice)s ont l’impression de lire un roman qui leur est véritablement destiné et oublient sans cesse qu’il s’agit d’une traduction.
Mais le plus remarquable constitue sans doute le travail d’acadianisation du roman effectué par Malaborza, qui a voulu « faire entendre les français qui circulaient en Nouvelle-Écosse vers 1916-1919 » (p. 557). Ces variétés de français, elle les a patiemment recréées au moyen d’ouvrages savants et de discussions avec des auteur(trice)s et des traducteur(trice)s acadien(ne)s ou cadien(ne)s, dont Georgette LeBlanc. À la lecture de L’accoucheuse de Scots Bay, les admirateur(trice)s d’Alma de LeBlanc auront d’ailleurs l’impression d’être plongé(e)s dans un univers similaire, d’abord à cause de l’acadjonne, cette variété de français parlée en Nouvelle-Écosse et employée dans les deux œuvres, mais aussi à cause de leur esthétique, proche du réalisme magique, ainsi que des personnages et des thèmes féminins.
L’acadianisation du roman de McKay était d’autant plus bienvenue que M’ame B., Cadienne d’origine, est déjà un personnage francophone dans The Birth House. La traduction de Malaborza la rend encore plus attachante et drôle; certains passages font rire à gorge déployée! C’est le cas lorsque la tante de Dora, une femme hautaine qui soutient publiquement le docteur Thomas, souhaite consulter discrètement la guérisseuse concernant ses règles : « Quoi-ce qu’y a, Francine? a chuchoté M’ame B. à son tour, amusée. Les tuniques rouges débarquent pu che’ vous? »
En temps normal, la magnifique couverture de L’accoucheuse de Scots Bay, qui met en vedette une œuvre de Carole Deveau, aurait attiré l’œil dans toutes les librairies, ce qui n’a pas été possible : la traduction est parue quelques jours avant le fameux confinement de l’hiver 2020. Cependant, la pandémie de COVID-19 lui donne une nouvelle pertinence. Non seulement parce que les mesures prises dans le roman pour contrer la pandémie de Grippe espagnole nous sont désormais très familières ou parce que les sages-femmes et les maisons de naissance ont gagné en popularité depuis, mais aussi parce que L’accoucheuse de Scots Bay nous fait vivre, durant quelques heures, tout ce qui nous a cruellement manqué depuis le début de cette crise sanitaire : les nouvelles de notre entourage prises en personne, la présence et le soutien de notre cercle social, les fêtes de famille et les rassemblements communautaires, les voyages interrégionaux et les séjours de la visite, ainsi que cette Acadie qui semble soudainement si loin pour les personnes qui se situent à l’extérieur de la bulle atlantique.
Roman féminin et féministe, L’accoucheuse de Scots Bay est aussi réconfortant et divertissant qu’une longue soirée passée à échanger des confidences avec ses meilleur(e)s ami(e)s. À dévorer d’une traite ou à savourer lentement… pour profiter le plus longtemps possible de la compagnie de Dora et de M’ame B.
Pour en savoir plus...

L’accoucheuse de Scots Bay
Découvrez le roman historique L’accoucheuse de Scots Bay écrit par Ami McKay, traduit par Sonya Malaborza, et publié aux Éditions Prise de parole.
Dora Rare n’est pas une jeune femme comme les autres. À l’aube de l’âge adulte, ses espoirs de mariage et de maternité bifurquent lorsque M’ame B., l’accoucheuse de son village natal de Scots Bay, en Nouvelle-Écosse, lui enseigne les gestes et les remèdes qui feront d’elle une guérisseuse. Pendant que la Première Guerre mondiale fait rage, Dora mène ses propres combats : grossesses et accouchements difficiles, problèmes de fertilité, insatisfaction sexuelle. Les occasions de mettre à profit ses dons de sage-femme sont nombreuses. Pourtant, son engagement ne plaît pas à tout le monde – aux médecins, surtout, qui y voient un obstacle à leur nouvelle pratique en obstétrique – et va lui causer de graves ennuis.
Immense succès en version originale anglaise (250 000 exemplaires vendus), L’accoucheuse de Scots Bay dépeint les réalités de la vie en milieu rural au Canada atlantique au début du siècle dernier et laisse entrevoir les luttes que devront mener les femmes pour protéger leurs acquis et étendre leurs droits, en premier lieu, celui de disposer de leur corps.
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