Un fléau encore trop présent
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La colère de l’autre
de Marjorie Pedneault :
Un fléau encore trop présent
Ève souffre en silence, elle veut protester… Mais comment s’affirmer quand on ne l’a jamais fait? Christophe a envie de frapper sa copine, qui n’arrête pas de pleurer. Le bébé est mort, fin de l’histoire; il faut passer à autre chose. Le policier qui leur fait face et leur parle se sent impuissant et a l’impression d’être lui-même menotté. La colère de l’autre de Marjorie Pedneault, publié aux Éditions Mouton noir Acadie, nous transporte dans l’enfer de la violence conjugale.
Cette œuvre est construite à la manière d’une pièce de théâtre, pour former ce qu’on appelle un roman choral. Il y a un premier personnage qui nous fait entrer dans son monde intérieur, qui nous parle de ce qu’il vit, et ainsi de suite [d’un personnage à l’autre], explique l’autrice. Il y a donc une alternance des voix tout au long de l’histoire, afin de dévoiler les différentes facettes d’une même situation.
Un fléau si coriace
Le roman explore un sujet difficile : celui de la violence conjugale. Selon Marjorie Pedneault, il est important de parler de ce fléau beaucoup trop répandu, et ne pas en traiter à la légère. C’est pourquoi elle a décidé d’ouvrir le dialogue, pour sa part, en écrivant cette œuvre de fiction. Je veux juste apporter ma petite contribution au discours public. Moi, comme femme et comme être humain, je trouve que c’est une vraie problématique. Les violences dans la sphère conjugale ne semblent pas tendre à diminuer avec les années, constate l’autrice. C’est incroyable, on dirait qu’on n’est pas capable de mettre un frein à cette violence-là.
L’histoire qu’a imaginée Pedneault invite les gens à se questionner sur les relations saines. Je pense qu’il faut, en tant que société, apprendre [tôt] aux jeunes femmes et aux jeunes hommes [ce que sont] les fondements d’une relation [de couple] saine. À travers les pages du livre, on dénonce une masculinité toxique qui n’a pas sa place en société. Certains hommes voient encore la force physique comme une part importante de ce que c’est qu’être un homme. Or masculinité n’est pas synonyme de brutalité.
La colère occupe une grande place dans le roman. Les hommes violents sont des gens qui ont une colère intérieure qu’ils sont incapables de gérer. Et ils vont diriger leur colère sur une autre personne, qui n’est pas responsable de tout leur malaise intérieur. Bref, la gestion de ses émotions, c’est quelque chose qui s’apprend et que l’on devrait enseigner davantage. Souvent, les femmes apprennent à gérer leur colère parce qu’on le leur apprend en bas âge : [ça fait partie de] leur éducation, pense l’autrice. On ne peut pas faire tout ce qu’on veut et il y a beaucoup d’obstacles.
Agir avant de guérir
Pedneault aborde le traitement des cas de violence conjugale dans notre système judiciaire. Il y a toujours deux principes qui s’affrontent : celui de la liberté individuelle et [celui] de la sécurité du public. Cependant, la liberté individuelle va toujours [primer]. Or en contexte de pandémie, les gouvernements n’ont pas hésité à mettre un frein à nos libertés individuelles. Le virus est un danger public, comme le sont certains hommes pour leur entourage. Et ils jouissent d’une liberté incroyable même s’ils sont un danger, peut-être pas pour un grand nombre de personnes, mais pour une personne et peut-être des enfants.
L’autrice souligne que dans beaucoup de cas de violence, la justice n’aide pas vraiment les victimes tant qu’il ne s’est pas produit quelque chose de très grave. Ces gens-là vont être traduits en justice quand ils commettent un meurtre ou quand ils mettent le feu à la maison, ou quand ils commettent un crime très grave, dit-elle. Mais comme société, il faut vraiment adopter des mesures pour [empêcher] que ça arrive. Après avoir lu ce livre, les lecteurs et lectrices se demanderont en définitive s’il n’est pas plus sensé d’agir plutôt que de guérir…
Le roman La colère de l’autre de Marjorie Pedneault est paru aux Éditions Mouton noir Acadie, aux formats papier et numérique.
Julien Charette
12 janvier 2022