«Icare» de Carl Philippe Gionet :

Aveuglé par le déni, jusqu’à se brûler

14 décembre 2021
Actualité
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Icare
de Carl Philippe Gionet :
Aveuglé par le déni, jusqu’à se brûler

 

Sous la forme d’un monologue intimiste, Icare, récit publié aux Éditions Prise de parole, relate la rencontre de deux hommes qui ont partagé de nombreuses choses pendant une certaine période de leur vie, avant que leurs chemins se séparent. Cette première œuvre littéraire du pianiste Carl Philippe Gionet invite les lecteurs et lectrices à tester les limites de l’empathie, à travers cette grande histoire d’amour tissée sur fond d’identité sexuelle, d’amour-propre, de dépendance et de santé mentale.

L’écriture a toujours « fait de l’œil » à Carl Philippe Gionet, mais son horaire chargé ne lui permettait pas de s’y consacrer complètement. J’ai toujours un peu écrit, confie-t-il, sans jamais avoir le temps de m’y consacrer pleinement. [Pour un] musicien classique, le temps est une denrée extrêmement précieuse que l’on doit gérer d’une manière quasi militaire. La pandémie ayant forcé l’annulation d’une quarantaine de concerts auxquels je devais participer, j’ai eu le temps de peaufiner mes textes.

Le concertiste a donc produit un livre écrit sous la forme d’un récit poétique. C’est une histoire construite d’une manière poétique, avec un vrai fil conducteur, [et non] pas de la poésie à proprement parler. Mais il y a parfois des images et des moments très poétiques qui surgissent. Tout au long du texte, ce sont des phrases courtes, rythmées et en vers. Une rythmique qui rejoint d’une certaine façon son métier de musicien classique.

Inspiré par la mythologie

Les références aux textes d’Auden, à la musique de Britten, et les évocations de la mythologie grecque sont nombreuses dans le récit : elles ont été le point de départ pour Gionet. Il y a partout une résonance métaphorique avec le mythe d’Icare –  histoire de l’homme ailé tombé dans la mer après s’être brûlé les ailes en approchant de trop près le soleil –, qui est d’ailleurs à l’origine de l’intitulé de son œuvre. Tandis qu’il buvait un café avec un ami à Halifax, après avoir participé à un concert dédié au cycle On this Island du compositeur anglais Benjamin Britten, texte de W.H. Auden, Gionet a eu la puce à l’oreille, dit-il, en entendant cet ami qui connaît beaucoup la littérature, [et qui] se met à me déclamer du Auden, comme ça, à table, en disant « C’est comme le texte d’Auden sur Icare ». À ce moment-là, je me suis dit : je ne peux faire autrement que de nommer ce livre Icare. Je n’ai pas le choix.

À la différence d’Icare, prisonnier d’un labyrinthe physique, le personnage du texte de Gionet est plutôt pris dans un labyrinthe émotionnel. Tout à coup, poursuit l’auteur, l’autre personne, l’objet aimé, l’amène à s’envoler un peu en dehors de ce labyrinthe. Il s’élève au-dessus. Il touche presque au but, quand se produit le sabotage suivi de la longue chute. Tout au long du livre, il y a un crescendo puis un decrescendo, comme une spirale fatidique. Le personnage ressent des choses qu’il ne peut ou ne veut pas accepter. Il est aveuglé par son déni des sentiments. Jusqu’à quel point pouvons-nous accepter nos propres sentiments? Les accepter nous-mêmes, c’est bien beau, mais est-ce que les gens autour de nous, eux, vont le faire? À quel point les gens peuvent-ils nous comprendre et à quel point voulons-nous être compris ou incompris? À travers tous ces questionnements, l’auteur explore le thème de l’identité sexuelle. Il y a aussi une certaine forme de pudeur dans le récit parce que le personnage est, lui-même, pudique par rapport à ses propres sentiments.

Simple et poignant

Il y a dans ce récit une forme de simplicité, de lenteur et de nonchalance qui surprend malgré tout par son émotivité, comme le mentionne Gionet : Je me suis donné la consigne d’utiliser un langage de tous les jours caractérisé par des mots simples et un rythme très clair et précis. Une simplicité un peu chirurgicale, mais à travers laquelle, à certains moments, il y a des images et des évocations assez fortes qui nous prennent un peu par surprise. Les mots et les phrases s’enchaînent donc pour former un tout saisissant et entraînant. Les lecteurs et lectrices se sentiront assurément interpellés à un moment ou à un autre des 165 pages qui composent ce livre.

Le récit Icare de Carl Philippe Gionet est paru aux Éditions Prise de parole, aux formats papier et numérique.

Julien Charette
14 décembre 2022