«Flâneries et souvenances» de Bernard Mulaire: La mémoire des émotions
Cette semaine, le Regroupement vous présente
une nouveauté franco-canadienne
Flâneries et souvenances de Bernard Mulaire
La mémoire des émotions
La mère du Franco-Manitobain d’origine Bernard Mulaire était une grande raconteuse. Lorsqu’elle est décédée, son fils a pensé à toutes ces histoires qui partaient avec elle, alors que celles-ci avaient été si importantes pour elle. Chaque fois qu’une personne meurt, c’est un univers complet qui disparaît, a-t-il réalisé. C’est donc dans une volonté de récupérer ses souvenirs et de ne pas qu’ils meurent avec lui, mais aussi de laisser une trace de ce qu’il a été ou aimé, de ce qui l’a surpris ou émerveillé, afin qu’il ne disparaisse pas dans la nature sans laisser de marque que Bernard Mulaire publie Flâneries et souvenances, un livre inclassable qui offre de courts récits de type autobiographique, aux Éditions du Blé.
Les textes sont presque tous autobiographiques, mais ensemble ne constituent pas une autobiographie, avertit Bernard Mulaire, qui ne retrace pas dans ces courts textes écrits entre 2003 et 2017 les grandes lignes de sa carrière. Pour moi, c’est autobiographique parce que je raconte des petits moments dans ma vie, mais on peut lire mon livre et on ne saura pas vraiment ce que j’ai fait dans la vie. Je raconte des moments qui sont banals : la fois où je suis allé faire une épicerie chez IGA, une fois où je suis entré dans une librairie, la dame avec qui j’ai parlé dans le métro, la mendiante que j’ai croisée sur la rue. Il y a des souvenirs d’enfance, aussi, de collège à Saint-Boniface, explique-t-il, ajoutant que les textes ne sont pas publiés dans un ordre logique, mais plutôt à l’image d’un cahier dans lequel on écrit des notes de temps en temps.
Pour Emmanuelle Rigaud, la directrice générale des Éditions du Blé, il est toutefois important de nuancer : Flâneries et souvenances ne présente pas que des petites choses du quotidien; le livre contient certaines histoires plus dramatiques ou plus émotionnelles, et raconte notamment la mort tragique de certains amis. Si la profondeur n’est pas évitée, elle avoue que ça peut aussi être très drôle et que certains textes peuvent effectivement être plus légers. Les sujets sont assez vastes et assez larges. Par exemple, dans les thèmes qu’il va aborder, tu as le retour sur la filiation; il va parler de sa mère, de son père, des souvenirs d’enfance. Ça, il y a clairement là-dedans quelque chose qui va parler à chacun : les relations que tu as avec tes parents, la façon dont tu as été construit, finalement.
L’éditrice en rajoute : Même si tu n’as pas vécu la même chose que Bernard, on s’en fiche; ce qui compte, c’est vraiment ce questionnement de manière générale sur le fondement de qui on est, de ce qu’on a reçu dans la vie pour continuer à grandir. Parmi les autres thèmes abordés, elle cite les rencontres, les voyages, le dépaysement, le souvenir et la vieillesse. On touche vraiment à l’anecdote ou à l’histoire personnelle, mais qui se transforme en histoire universelle. Il y a beaucoup de rapports avec des faits historiques, et à chaque fois il recontextualise ses histoires à lui, personnelles, dans le monde dans lequel il évolue, explique celle qui croit que chaque récit peut nous parler même si on n’a pas vécu la même chose, parce qu’on se retrouve tous à certains moments, en tant qu’êtres humains, confrontés un peu aux mêmes émotions.
C’est d’ailleurs de bien cerner l’émotion, le sentiment que Bernard Mulaire a vécu lors de ces différents souvenirs qui l’intéressait en écrivant Flâneries et souvenances. Il y a toute la gamme d’émotions là-dedans : il y a de l’amour, du désir, de l’émerveillement, de la déception, de l’attente, de la surprise. Je constate, aussi; je suis quelqu’un de très visuel, j’observe ce qui se passe autour de moi, j’entends et je réagis, décrit celui qui a réussi à bien cerner les émotions qu’il a ressenties et à bien circonscrire ses souvenirs grâce à l’écriture. C’est en essayant de choisir l’entrée en matière que ça prend forme sur papier, et c’est en l’écrivant qu’on détermine le souvenir, qu’on élimine les choses sans importance et qu’on se souvient des détails.
Ce qui me passionnait, ajoute Bernard Mulaire, c’était de fixer sur papier des souvenirs qui me venaient, mais aussi l’art de trouver le bon mot, le mettre à la bonne place, sans répétition, sans mot inutile, sans redondance. Si l’auteur a mis énormément de soin et de travail dans ses textes, qui sont aussi écrits de façon très orale, il espère toutefois que les lecteurs comprendront qu’il ne raconte pas uniquement pour raconter, et qu’il ne souhaite pas en faire un livre de souvenirs d’antan ou de conseils de la part d’un homme d’un certain âge aux plus jeunes. J’invite les gens à faire face à leurs émotions. Ce n’est pas facile; on balaye beaucoup de choses, on ne revient pas sur le passé. Notre vie suit un rythme trépidant et on ne prend pas le temps de s’arrêter et de commencer à penser à pourquoi quand j’avais 10 ans j’ai vécu telle émotion. En même temps, on n’a pas développé les mots pour le dire, mais ça, ça s’apprend en écrivant.
Reconnaître les sentiments que l’auteur décrit dans ses propres souvenirs, voilà l’objectif de Bernard Mulaire avec ses textes courts qui arrivent à dire en peu de mots mais en suggérant beaucoup, afin d’arriver directement au sentiment ou à l’émotion qu’il retire de l’histoire racontée. En présentant ses souvenirs en ordre selon la date à laquelle il les a écrits, et non à laquelle le souvenir s’est déroulé, Mulaire met de l’avant par le fait-même le mécanisme de la mémoire. Ce qu’on va trouver, c’est un méli-mélo de souvenirs, parce que quand on a des souvenirs, ils ne nous viennent pas dans une suite chronologique. Un jour on pense à une chose, le lendemain on pense à autre chose, donc c’est cette espèce de brouhaha-là qui nous transporte d’un lieu à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un moment à l’autre.
Sans tomber dans la nostalgie, l’auteur s’est aussi promené entre les styles (récit plus classique ou historique, essai biographique, même poésie) et dans toutes les formes (au « je », à la troisième personne, en dialogues, en listes, en anglais), tout en restant toujours cohérent, selon son éditrice. Ce qui relie toutes les histoires, selon Emmanuelle Rigaud, c’est leur portée universelle : Ce sont des petits détails de la vie qui tout à coup vont évoquer quelque chose chez le lecteur, et je pense que c’est ça qui est important. On ne lit pas juste l’histoire de quelqu’un; c’est vraiment à travers ces histoires qu’il nous partage que ça nous évoque quelque chose en tant que personne.
Le récit autobiographique Flâneries et souvenances de Bernard Mulaire est publié aux Éditions du Blé.
Alice Côté Dupuis
21 novembre 2018