« Fif et sauvage » de Shayne Michael : Provoquer un dialogue
Chaque semaine, le Regroupement vous présente
une nouveauté franco-canadienne
Fif et sauvage de Shayne Michael :
Provoquer un dialogue
Fif et sauvage, écrit par Shayne Michael, pose un regard honnête et sans filtre sur soi et sur l’Autre. Dans ce recueil de poésie publié aux Éditions Perce-Neige, l’auteur se réapproprie des sujets qui l’ont happé au cours de sa vie. Comme il le résume si bien : Ça parle de mon vécu en étant « fif » et « sauvage ».
Le titre fait référence de manière très péjorative à l’homosexualité de l’auteur ainsi qu’à ses origines wolastoqiyik. Cela oblige le lecteur, la lectrice, à faire face aux mots « fif » et « sauvage » ainsi qu’à l’inconfort qu’ils provoquent. Ces adjectifs durs et réducteurs, qui ont longtemps servi à mépriser cet Autre – l’homosexuel, l’Autochtone –, Shayne Michael n’a pourtant pas eu peur de se les approprier. Il a choisi de les employer contre ceux-là mêmes qui les ont prononcés pour le blesser. Michael s’attaque donc ici aux nombreuses étiquettes qu’on lui a accolées depuis sa naissance.
Les poèmes s’inspirent en grande partie des expériences de vie de l’auteur. Shayne Michael n’a pas eu la vie facile, tentant toujours de jongler avec ses différentes identités, lui qui est Autochtone en plus d’être homosexuel et Acadien. C’est sûr qu’il y a eu des moments difficiles, surtout à l’adolescence, où l’intimidation était présente. Mon homosexualité n’était pas certaine encore et je me faisais traiter de « fif », justement. Ça, c’était juste en lien avec mon orientation sexuelle, mais encore là, je n’avais pas vraiment conscience de ce que j’étais.
L’auteur a également vécu de l’intimidation en raison de ses origines autochtones. Ma culture autochtone, c’est sûr que j’en avais déjà conscience, mais je la mettais un peu de côté. Par exemple, au secondaire, on avait un autobus scolaire spécialement pour notre communauté, qui nous amenait à l’école. C’était un petit autobus, et les gens faisaient référence à nos autobus comme à ceux des personnes handicapées, des personnes avec des besoins spéciaux. Pour nous, qu’on nous compare à ces personnes-là, ce n’était pas très gentil.
Hommage à la femme de sa vie : sa mère
Les femmes qu’a côtoyées Shayne Michael ont aussi leur place dans ce recueil et dans ses textes en général. Je parle beaucoup de « la femme », de la mère, de la grand-mère dans mes textes. C’est quelque chose qui a une grande influence sur moi, c’est un fil qui va me suivre du début à la fin. On vient tous d’une femme quelque part dans notre vie. Dans son premier recueil de poésie, Michael a d’ailleurs voulu rendre hommage à sa mère, décédée du cancer en 2010. Une mère qui l’a supporté et a toujours cru en lui. J’ai fait ce recueil en mémoire de ma mère. C’est la seule qui croyait en moi, qui croyait en mes projets lorsque j’étais jeune. Je l’ai en moi, ma mère, et je veux la transporter, l’emmener sur ce trajet. Qu’elle me suive tout le long du chemin.
L’auteur voit son œuvre un peu comme un enfant qui grandit et prend de la maturité. Suivant cette métaphore, ce recueil serait en quelque sorte les premiers balbutiements d’un ensemble bien plus grand qui se développera au fil des prochaines années. Avec Fif et sauvage, c’est un début. [J’espère] une évolution du personnage qu’est mon recueil au cours des prochaines années et des prochains projets sur lesquels je travaille.
Provoquer une discussion
Shayne Michael ne passe pas par quatre chemins pour exposer sa pensée de manière poétique. J’aime dire les vraies choses. Je trouve que « fif », c’est plus fort qu’homosexuel, que ça ramène à l’intimidation, à la discrimination. Ça sonne une petite cloche quelque part pour beaucoup de personnes. Or il dit ne pas chercher à provoquer, mais plutôt à ouvrir un dialogue sur l’homosexualité et les Premières Nations. Les jeunes ont besoin d’entendre les vraies choses, aujourd’hui. Ils ont besoin de repères, de choses qui vont les faire réagir. Pour les plus âgés, cela va leur rappeler comment c’était difficile de vivre son homosexualité dans les années 1970 et 1980.
Ce recueil se veut engagé, sans pour autant chercher à heurter. L’auteur explique : Je n’ai pas fait ce recueil-là pour blesser d’autres homosexuels ou d’autres Autochtones. Je dis juste qu’il existe de l’homophobie même au sein de la communauté LGBTQ+. Qu’il existe du racisme dans les communautés autochtones. C’est des faits! On est influencé par son environnement, et c’est normal. Mon but, c’est d’entamer la discussion, de partager ma voix. Si tu lis ce recueil, cela peut t’emmener à vouloir t’informer, à suivre un cours de langue autochtone ou à lire d’autres œuvres d’autrices et auteurs autochtones.
Shayne Michael préfère se désigner lui-même comme humain plutôt que comme homosexuel, Autochtone ou Acadien. Je n’aime pas porter d’étiquette. Je n’aime pas choisir. J’aime être un humain. Toutes mes étiquettes, je n’aime pas les montrer aux autres. Elles sont tatouées en moi!
Le recueil de poésie Fif et sauvage de Shayne Michael est paru aux Éditions Perce-Neige aux formats papier et numérique.
Julien Charette
9 décembre 2020