En résidence d’écriture avec Véronique Sylvain
Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Véronique Sylvain quelques jours après son retour d’un mois en résidence d’écriture à la Maison de la littérature, au cœur du Vieux-Québec. Un séjour rendu possible grâce au Prix Champlain, dont elle a remporté cette année le volet adulte avec son recueil de poésie Premier quart, publié aux Éditions Prise de parole.
Julien Charette : Permettez-moi de vous féliciter. C’est quand même quelque chose de gagner ce prix littéraire grâce à sa première publication! Comment avez-vous réagi en apprenant votre nomination au Prix Champlain 2021?
Véronique Sylvain : Merci pour vos bons mots. C’est vraiment gentil! J’étais très contente, mais aussi nerveuse. Après avoir remporté le Prix de poésie Trillium et le Prix du livre d’Ottawa, en 2020, je ne m’attendais pas à remporter un troisième prix, en 2021, pour ce même recueil! Ça faisait d’autant plus plaisir que c’est un prix franco-canadien, puisque je travaille dans le milieu de l’édition en Ontario français depuis plusieurs années. Ça vient vraiment renforcer mon sentiment d’appartenance à la communauté franco-canadienne.
J. C. : Surtout que grâce à ce prix, vous avez obtenu une bourse et une résidence d’écriture à la Maison de la littérature, à Québec.
V. S. : Pour ça, c’est vraiment un prix génial. Ce qui est le plus étrange et le plus drôle, c’est qu’en novembre dernier, je me disais que j’aimerais bien avoir le temps et l’espace pour travailler sur mon prochain projet littéraire. Et là, deux mois plus tard, j’apprends que je suis finaliste pour le Prix Champlain!
J. C. : Donc, vous aviez déjà un projet en tête, avant même de partir? Pouvez-vous nous en parler davantage?
V. S. : Oui, oui! C’est un projet qui est né au moment où je terminais la rédaction de mon premier recueil. L’idée m’est venue à la suite de la lecture de La parenthèse d’Élodie Durand, un roman graphique qu’on m’a offert pour mon trentième anniversaire. Après l’avoir lu, j’avais l’impression que ça racontait mon histoire, elle aussi marquée par l’épilepsie. Je m’étais toujours dit que parler de ces choses-là serait ennuyeux et constituerait un pas en arrière. Cependant, en lisant ce livre, des idées de textes me sont apparues.
J. C. : Diriez-vous que ce mois en résidence d’écriture fut en quelque sorte une thérapie pour vous?
V. S. : L’écriture m’a permis d’exprimer certaines de ces choses que je n’arrivais pas à expliquer, et de faire un peu la paix avec mon passé. Au début, je me suis demandé si je ne me faisais pas plus de tort [que de bien en ressassant mes expériences]. Puis, – peut-être que c’est d’être partie pendant un mois et d’avoir écrit tous les jours –, finalement, je dirais que ça m’a fait du bien. C’est peut-être ça, l’avantage d’être artiste : pouvoir transformer une expérience difficile en quelque chose de beau.
J. C. : Effectivement, l’expression artistique permet d’extérioriser ses émotions. En partant à Québec, et sachant que vous ne seriez pas « dans vos affaires » pendant tout un mois, aviez-vous peur d’être incapable d’écrire ou tout simplement de ne pas trouver la motivation pour le faire?
V. S. : C’est drôle, parce que des gens m’ont demandé si c’était possible que je n’écrive rien une fois là-bas. Or pour moi, ç’aurait été un non-sens, puisqu’en novembre dernier, j’avais souhaité avoir du temps pour travailler sur ce projet-là, et je l’ai eu. Je voulais que ce mois en résidence d’écriture en vaille la peine. Donc j’étais motivée par ça.
J. C. : Comment s’est déroulé votre séjour à la Maison de la littérature? Comment organisiez-vous vos journées?
V. S. : J’étais logée dans un appartement du quartier Saint-Roch, à une vingtaine de minutes à pied de la Maison de la littérature. Je me rendais là-bas tous les jours, sauf les lundis, puisque c’était fermé. Il y a des jours où je commençais [mon travail] plutôt en fin de matinée ou en début d’après-midi. Normalement, j’arrivais là-bas autour de 10 h 30. Parfois, même, j’allais faire des courses, je mangeais mon dîner et je m’y rendais par la suite. Certains jours, quand [j’avais un rythme] moins productif et des sorties prévues en soirée, je revenais à l’appartement et j’avais l’inspiration d’écrire là. Donc, chaque jour, j’écrivais, mais c’était assez libre. On m’a dit que je n’étais pas obligée de me rendre chaque jour à la Maison de la littérature. Mais j’avais un espace là-bas qui m’était réservé, alors pourquoi ne pas m’en servir?
J. C. : D’ailleurs, comment avez-vous profité de cet espace à la Maison de la littérature?
V. S. : C’était un cabinet aménagé avec de grandes fenêtres et un plafond haut, où je pouvais écrire dans le calme absolu. En revanche, je pouvais seulement m’y rendre pendant les heures d’ouverture de la Maison. Ses portes ouvraient à 10 h et fermaient à 20 h; la fin de semaine, c’était à 17 h. Malgré les heures d’ouverture limitées, je vous dirais que j’ai quand même profité du temps que j’avais là-bas. Le travail d’écriture ne s’arrêtait pas au moment où je quittais la Maison de la littérature; c’était en continu. Tout ce que je vivais et voyais m’a inspirée tout au long de ce mois. Je me suis aussi nourrie des échanges que j’ai eus avec des autrices et des auteurs, des ami.e.s, des membres de ma famille habitant à Québec. Tous ces gens, même si la plupart d’entre eux n’ont aucun lien avec mon projet, l’ont tout de même nourri.
J. C. : Est-ce que la retraite d’écriture est quelque chose que vous avez l’intention de refaire à l’avenir?
V. S. : Au début, je me suis demandé si je n’allais pas trouver le temps long. Mais finalement, le mois a passé très vite. J’ai bien aimé l’expérience, même si certaines choses étaient différentes en raison de la pandémie. Habituellement, la Maison de la littérature a une programmation, mais cette année, il n’y avait rien de tout cela.
J. C. : Qu’est-ce que cette résidence vous a apporté de positif, malgré le contexte particulier que nous vivons?
V. S. : Ça m’a même donné un peu le… comment dire… le goût de me plonger plus à fond dans l’écriture. Normalement, j’essaie d’écrire un peu chaque jour, quand je suis à Ottawa. Mais comme je travaille à temps plein pour une maison d’édition, c’est certain que je ne peux pas écrire des textes pendant que je suis au bureau. Le matin, cependant, j’ai toujours ce rituel de marcher, et là j’ai des idées pour des textes. C’est sûr que je referais [une résidence]!
***
Pour nous donner un avant-goût, Véronique Sylvain a eu la générosité de partager un extrait de ses inédits produits dans le cadre de cette récente retraite :
jambes titubantes,
elle dégringole
des escaliers
escargots.
l’hippocampe
la suit derrière
effleure
sa main
nerveuse.
elle fait
les cent pas
sur les trottoirs
de son nouveau
quartier.
elle décide
d’abandonner
le noir
de ses idées
dans les rayons
des petits
et grands
magasins.
elle y commande
de la douceur
pour emporter.