«Écrire à partir de la marge»: Une table ronde au Salon du livre du Grand Sudbury 2018

Trois auteures de la francophonie s’interrogent sur leur milieu de provenance
En réunissant Mireille Groleau, originaire des environs de Hearst en Ontario, mais demeurant dans la région d’Ottawa, Lyne Gareau, native du Québec, mais habitant la Colombie-Britannique depuis de nombreuses années, et Aurélie Lacassagne, une Française qui habite dorénavant dans le Nord de l’Ontario, l’animatrice de la discussion Chloé LaDuchesse avait tous les extrêmes possibles pour étudier l’impact de la marge géographique sur la création littéraire. Réunies le jeudi 10 mai 2018 au Salon du livre du Grand Sudbury, les trois auteures ont toutefois aussi profité de l’occasion pour s’interroger sur leur marginalité en tant que francophone.
Même le signal de CBC n’était pas bien capté à Coppell, à environ 30 minutes au sud-ouest de Hearst, où Mireille Groleau a grandi. Ça, ça te donne un caractère de chien pour revendiquer, a-t-elle lancé, rieuse, avant d’affirmer qu’elle avait toujours refusé de se sentir minoritaire en tant que francophone en Ontario. Mes enfants, on les a élevés en majoritaires, mais ils ont des réflexes de minoritaires que je ne me reconnais pas, a-t-elle avoué, réfléchissant au fait qu’en vivant dans un endroit géographiquement en marge, une frontière est automatiquement créée, et cela a un impact sur notre conception du monde. Je ne peux pas écrire d’une perspective d’ailleurs que du Nord de l’Ontario. Mes racines sont ici, mon imaginaire demeure marginal.
Pour Lyne Gareau, publiée aux Éditions du Blé (Manitoba) mais ayant grandi au Québec, il a longtemps été naturel de se définir comme une Québécoise hors-Québec. Comme sa langue et sa voix poétique venaient du Québec, il était normal de refuser de perdre cette identité. Mais après une quarantaine d’années en Colombie-Britannique, il a fallu se rendre à l’évidence que sa langue et sa plume étaient teintées d’autres choses qui ne provenaient pas de sa province natale. Refusant l’étiquette et embrassant le mélange, elle se considère dorénavant comme une franco-colombienne, mais elle avoue s’être longtemps sentie isolée en tant qu’écrivain francophone en Colombie-Britannique. Donc j’ai moi-même formé un groupe, qui est maintenant plus large, qui est devenu une communauté. Lyne Gareau a donc lutté contre l’isolement lié à la marginalité.
Pour sa part, Aurélie Lacassagne l’a plutôt embrassée, cette marginalité. En arrivant en Ontario, la Française a tout de suite été repoussée dans la marge, en raison de son statut de francophone, bien sûr, mais aussi de son accent : toujours identifiée comme « autre », elle vivait une marginalité linguistique et audible. Cela lui a tout de suite donné envie de s’impliquer et de s’affirmer, et elle assure que jamais je n’aurais écrit un, deux livres, si je ne m’étais pas retrouvée dans la marge. Écrire en France, c’est très difficile, je viens d’un milieu où je n’aurais pas écrit, mais ce désir de s’exprimer en tant que marginale l’a poussée à le faire, et elle croit d’ailleurs que les marges deviennent de merveilleux centres de création.
Chloé LaDuchesse a ensuite eu envie de voir à quel point cette marginalité géographique avait eu un impact sur la création des personnages des écrivaines. Mireille Groleau ayant mis en scène une femme retournant à Hearst à la suite du décès de sa mère dans Souffles des cathédrales, l’auteure n’a pu qu’affirmer qu’on est qui on est : on a un bagage génétique, géographique et culturel, signifiant par là qu’il lui était naturel de retrouver la marginalité même à l’intérieur de ses écrits et que d’ailleurs, la poésie en tant que tel était un genre considéré comme marginal. Alex, le personnage d’ermite créé par Lyne Gareau dans La Librairie des Insomniaques, quant à lui, a tout laissé derrière lui et a fait vœu de silence : il a délibérément choisi la solitude et la vie dans la marge. Pourtant, ces personnages qui ne s’insèrent nulle part ailleurs finissent par se créer une communauté propre à eux pour contrer leur isolement.
S’il y a eu une éclosion de créativité dans les années 1970 à Sudbury, « le milieu de partout », pour citer Thierry Dimanche, c’est parce que la ville est située en marge, selon Aurélie Lacassagne. Il faut bien que quelque chose se passe! Les pièces de Montréal ne viendront pas, les chanteurs ne viendront pas, alors il faut se créer une culture, affirme la professeure à l’Université Laurentienne de Sudbury. Cette création florissante et différente de ce qu’il se fait ailleurs serait aussi due au fait qu’il y a moins de pression, mais aussi moins de règles, de contraintes ou de formules à respecter dans une telle ville éloignée que dans les grands centres.
Finalement, il ne fait aucun doute que les trois auteures embrassent la marginalité dont elles sont issues. Mireille Groleau revendique même fièrement son accent de franco-ontarienne, qui ne m’a pas empêchée de travailler 18 ans à Radio-Canada! Les couleurs de sa langue lui appartiennent, mais sont aussi universelles, selon celle qui indique aussi aimer jouer avec le ton et avec les niveaux de langue. En effet, c’est un luxe que ces marginales ont de pouvoir jouer avec la langue, puisqu’elles évoluent inévitablement dans un mélange de français et d’anglais : parfois, Lyne Gareau avoue trouver le mot parfait en anglais avant de trouver un équivalent français, ce qui la pousse à faire des recherches et à avoir le plaisir de choisir les mots justes.
Il n’y a pas LA langue française, mais DES langues françaises, selon Aurélie Lacassagne, et c’est ça la beauté de la francophonie. Elle affirme aussi qu’il n’y a effectivement pas seulement différents accents, mais bien différentes langues. À voir la passion qui habite ces trois auteures, on ne peut que constater que le statut de minoritaire forge effectivement des personnalités très fières, affirmées et revendicatrices. Le constat semble être que dans la marge, il faut se tenir debout, et selon l’auteure de l’essai Perspectives créoles sur la culture et l’identité franco-ontariennes, en tant que francophone minoritaire, par principe, le fait d’écrire est un geste politique.
La table ronde « Écrire à partir de la marge » a eu lieu le jeudi 10 mai 2018 à l’occasion du Salon du livre du Grand Sudbury.
Alice Côté Dupuis