Welsford, de Claude Guilmain

Du béton sur le passé

3 novembre 2023
Actualité
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le Regroupement vous présente
une nouveauté franco-canadienne

Welsford, de Claude Guilmain,
publié chez les Prise de parole

 

Quand un corps est découvert dans le vieux quartier torontois où a grandi l’inspecteur Frank Duchesne, celui-ci doit s’efforcer de dissiper l’écran de fumée qui lui évitait de faire face à son lourd passé. Qu’était le vrai Welsford des années 1960 ? Est-ce que la vérité se retrouve enfouie sous le béton ? Ce premier roman policier de Claude Guilmain a de quoi vous tenir en haleine de la première à la dernière page.

L’inspecteur-chef Frank Duchesne est à l’aube de la retraite lorsqu’une enquête dans son quartier d’enfance le prend au col pour l’y amener faire une excursion nostalgique. Est-ce que le corps qu’on y déterre serait celui de quelqu’un que Frank a connu il y a cinquante ans ? Est-ce qu’un de ses anciens voisins pourrait être coupable de meurtre ? Une chose est certaine, vous ne pourrez refermer ce livre qu’après l’avoir lu jusqu’à la dernière ligne !

 

En 1970, l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale étaient en plein mouvement de libération de la femme. Des milliers de jeunes Américains combattaient au Vietnam dans une guerre qui allait diviser plus d’un pays. Ce que l’on enseigne aujourd’hui aux adolescents du secondaire n’était que l’arrière-plan du quotidien pour les familles de quartiers comme Welsford. Par des allers et retours entre passé et présent, c’est le contexte historique auquel nous convie Guilmain dans ce roman rétroviseur.

 

Dans ce présent qui se veut contemporain se déroule une intrigue policière méticuleusement conçue. Chaque chapitre en révèle juste assez pour garder le lecteur captif sans tout dévoiler. Les coïncidences semblent se multiplier à chaque détour, et elles renvoient toujours à Frank, dont la vie personnelle est complètement entrelacée avec l’enquête qui l’occupe. Or, s’agit-il vraiment de simples coïncidences ou y a-t-il quelque chose de plus sinistre qui détermine le cours des événements ?

 

Quant à la narration au passé, c’est comme si on était réellement là, parmi les personnages, perché sur un des tabourets chromés du diner enfumé, à se laisser bercer par la voix de Paul McCartney à la radio… ou encore là, assis sur le sofa de la mère Howard, qui se ronge les ongles en anticipant le décollage de Neil Armstrong à travers son téléviseur couleur. On peut jusqu’à s’imaginer au beau milieu du centre-ville de Toronto en fin d’après-midi, dans un embouteillage pare-chocs à pare-chocs, attendant le feu vert.

 

Et juste comme on croit avoir déjoué l’auteur et résolu l’intrigue, Guilmain tend un piège au lecteur qui pousse celui-ci à tout réévaluer. Avec ingéniosité, l’auteur l’amène à examiner toutes les perspectives, au point où on se méfiera de chaque personnage, y compris le protagoniste !

 

Guilmain déploie ici un style littéraire qui laisse très peu à imaginer : il est passé maître dans les descriptions sensorielles ainsi qu’affectives qui suscitent l’empathie du lecteur et lui procurent une immersion totale dans l’intrigue.

 

D’après ses esquisses détaillées, il semble évident que Guilmain a passé la majorité de sa vie à conduire dans les rues achalandées de Welsford. On a donc affaire non seulement à un roman policier absolument palpitant, mais aussi à un aperçu fascinant et impressionniste de l’histoire politique, sociale et industrielle de la ville de Toronto. Le fait que chaque lieu mentionné ait véritablement existé – ou existe encore – ajoute certainement à l’authenticité du récit. On pourrait même dire que la ville figure ici en tant que personnage à part entière.

 

Le quartier autrefois plein de vie, familier au protagoniste, s’étant détérioré avec le passage du temps, Guilmain utilise la nostalgie de Frank pour faire plusieurs comparaisons entre la ville en plein essor du début des années 1970 et la métropole électrique et chaotique qu’on connaît aujourd’hui. Comme le dit Joni Mitchell dans sa chanson Big Yellow Taxi, « On a bétonné le paradis pour en faire un stationnement »…

 

Il est vrai que Toronto a bien changé depuis cinquante ans, et les gens qui l’habitent ont évolué en parallèle. On ne voit presque plus de ces petites communautés solidaires où les jeunes pouvaient jouer librement dans les rues jusqu’au coucher du soleil. En 2019, on croirait que tout le monde court à une vitesse effrénée, absorbé par sa propre existence sans prêter la moindre attention aux soucis d’autrui. Du moins, c’est l’observation que fait le personnage principal.

 

Et pourtant, peu importe le temps passé et les nouvelles préoccupations des gens d’aujourd’hui, Guilmain démontre que certains problèmes de société restent endémiques, intemporels.  

 

De bout en bout, cette lecture convie à une expérience littéraire inoubliable. Welsford mérite sans aucun doute sa place dans votre bibliothèque personnelle.

Mélanie Carole

novembre 2023