Croisements littéraires: Sébastien Bérubé vous présente Patrice Desbiens

20 février 2019
Entrevues portraits
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Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.

Cette semaine : Sébastien Bérubé vous présente Patrice Desbiens

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C’est sur le tard – de son propre aveu –, en lisant des extraits du recueil Sudbury sélectionnés par son enseignant à l’Université que Sébastien Bérubé a d’abord été confronté à la poésie de Patrice Desbiens. C’est à partir de là qu’il a eu envie de découvrir le reste de son œuvre, mais c’est surtout après avoir découvert cette écriture que le poète acadien s’est dit qu’il pouvait, lui aussi, écrire à propos de sa vie, de sa région natale, le Madawaska, de ce qui y est beau mais aussi de ce qui l’est moins.

C’est comme si lire Patrice Desbiens m’avait donné la légitimité pour écrire ce que je voyais, écrire juste honnêtement, sans essayer d’embellir rien. Je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose d’universel là-dedans, que si sa façon à lui de s’écrire me parlait à moi en Acadie, peut-être que ma façon de m’écrire allait parler à d’autres, raconte Bérubé, qui cite Desbiens parmi les trois poètes ayant eu une influence majeure sur lui, et le premier à se permettre et à assumer totalement un tel style d’écriture, ce qui fait de lui le monument en littérature francophone canadienne qu’il est.

« Écrire juste honnêtement ». C’est bien là l’une des premières choses qu’il remarque à propos de l’écriture de Desbiens : elle est honnête. Sa façon d’écrire, de raconter, l’est, mais il perçoit aussi le poète franco-ontarien comme un artiste sensible, en raison de la façon dont il présente les moments qu’il sélectionne, sans diriger le lecteur ni lui montrer quelle doit être sa compréhension, mais en lui permettant plutôt de l’interpréter selon sa sensibilité. Il va nous parler de quelque chose, ça peut être quelque chose qui rend triste, mélancolique ou qui rend heureux, mais sa façon d’écrire ne t’amène jamais dans aucune de ces directions-là, elle ne fait que t’expliquer ce qui se passe, et c’est notre réception qui la teinte. Comme troisième qualificatif de l’œuvre de Patrice Desbiens, Sébastien Bérubé répond : brut, parce que ça vient des tripes.

Un écrivain honnête

Sébastien Bérubé : Quand m’est apparu Patrice Desbiens, pour moi ça a été comme une claque sur la gueule. De voir cette poésie-là, ce ton-là, cette façon-là d’écrire, c’est un peu ce qui m’a montré que j’avais le droit d’écrire de cette façon-là ou de m’en aller vers ça plutôt que de m’en aller vers les autres types de poésie qui ne me parlaient pas. Il y avait une proximité de son écriture avec la vie de tous les jours, avec le monde de la classe moyenne, disons, et c’est ça qui me parlait, comme une sorte de poésie du quotidien qui ne cherche pas à se faire belle, mais qui l’est, juste parce qu’elle est extrêmement honnête.

En lisant Patrice Desbiens, tu avais l’impression d’avoir une discussion avec quelqu’un qui ne se prenait pas pour un autre, qui n’essayait pas de te prouver qu’il était connaisseur de la langue ni rien, tu avais vraiment l’impression d’entamer un dialogue avec un ami. Il y a aussi la langue qui était utilisée, qui était une langue de tous les jours, que la beauté n’était pas dans les mots qu’il nous montrait qu’il connaissait, mais plutôt dans sa façon d’utiliser la langue qu’il parle. C’est ça, moi, qui m’a frappé, parce qu’avant ça, quand j’étais plus jeune, pour moi, la poésie, c’était du monde qui me montrait qu’ils étaient meilleurs que moi en français.

Patrice Desbiens, tu n’as pas besoin de chercher le 2e ou 3e degré, il te parle terriblement honnêtement de quelque chose, et il te le présente vraiment par les tripes. Je trouve que c’est ça qui est beau de cette écriture-là.

Pour moi, c’est un artiste qui est tellement honnête qu’il crée à partir de ce qu’il vit, et qu’il voit une beauté dans ce qui se passe autour de lui à tous les jours. Selon moi, c’est une poésie qui fonctionne, parce qu’elle s’inscrit dans son temps, et la façon dont il arrive à manipuler le monde autour de lui et à l’amener sur papier, ça me parle à moi, parce que ce dont il parle, je le connais aussi. C’est ça moi que je trouve beau dans ça, c’est que c’est tellement simple que c’en est beau. Tu ne vois pas qu’il s’est forcé, alors ça peut juste être honnête.

Un poète sensible

S.B. : Les réalités qu’il exprime ou qu’il montre sont encore d’actualité, l’ont toujours été et le seront toujours. Je pense que c’est un peu l’avantage de cette poésie-là et de la façon dont il a écrit. La façon dont il écrit ne se démode pas, parce que c’est encore la façon dont les gens se parlent entre eux, et le langage ne cherche pas à montrer une époque, mais à vraiment montrer les gens de cette époque-là; et les gens, ça ne change pas.

C’est ça qui fait beau : il parle au « vrai monde », mais ce qu’il nous dit est d’une beauté inimaginable. De voir ce qu’il arrive à faire avec cette langue-là, c’est là toute la beauté.

Pour moi, ça avait été une révélation : c’était tellement simple que je me demandais comment il avait réussi à prendre ça avec ses yeux et à le mettre sur papier et que ce soit si beau. Comment il a fait pour imprimer sur papier ce moment-là de sa vie, que tout le monde vit, que tout le monde voit, mais que personne ne comprend de cette façon-là? Moi, ça m’a « flabbergasté »!

Un peu comme Denis Vanier est arrivé à donner une beauté à la douleur, lui, il est arrivé à donner une beauté à la quotidienneté. C’est ça qui est magique, juste le fait de prendre ces petits moments-là ou cette petite quotidienneté-là et de la mettre de l’avant, c’est un coup de génie.

Il est le seul, selon moi, qui a réussi à amener cette poésie du quotidien et à en faire son médium. Il a bâti une œuvre complète comme ça! Il excelle dans ça, où plein d’autre monde va se casser la gueule solide. Pour arriver à parler de quelque chose de vraiment simple, il faut que tu sois terriblement habile! Il faut trouver les bons mots, et lui le fait.

Si la poésie depuis ses débuts sert à embellir le monde et à embellir la vie, il n’y a rien de plus vivant que le quotidien. C’est inépuisable comme source!

Une écriture brute

S.B. : Ce qui est vraiment le fun avec Patrice Desbiens, contrairement à d’autres poètes qui vont faire ce style-là, c’est que la vulgarité ou l’extrémisme, on peut dire, dans sa façon d’écrire, n’est jamais gratuite. Ça va toujours amener quelque chose et ça vient des tripes, c’est puissant.

Tu peux lire quelque chose de terriblement drôle qui va être suivi de quelque chose qui va être terriblement crade ou crasse. Je trouve que peut-être que tout ce qui se fait présentement en poésie plus trash, où c’est très sarcastique et où il y a un deuxième degré très important, pourrait s’inscrire comme héritier de ce que Patrice Desbiens a commencé, parce qu’il y a quelque chose de tellement pince-sans-rire dans sa façon d’écrire, mais c’est de l’ironie pour te montrer quelque chose. Ce n’est jamais gratuit; c’est une des affaires qui m’a toujours le plus fasciné, c’est qu’il peut te cracher dans la face, mais ça va finir par arriver à quelque chose qui est vraiment important.

 Propos recueillis par Alice Côté Dupuis