Croisements littéraires: Robert Nicolas vous présente Lise Gaboury-Diallo

Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.
Cette semaine : Robert Nicolas vous présente Lise Gaboury-Diallo
C’est durant sa Maîtrise en création littéraire à l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba, que l’auteur Robert Nicolas a eu l’opportunité de côtoyer Lise Gaboury-Diallo et de découvrir davantage son travail d’autrice. C’est sous sa tutelle à elle que celui-ci a rédigé son premier livre, Nouvelles orphelines, et bien que pour ce faire il ait lu tous les grands classiques du genre – de Herman Melville à Edgar Allan Poe en passant par Beckett, Kafka, Buzzeti ou Borges – afin de comprendre le fonctionnement et les composantes du genre littéraire qu’est la nouvelle, Robert Nicolas continue de croire que Lise Gaboury-Diallo est une autrice incontournable.
Ayant découvert son travail avant même de débuter sa collaboration avec elle, le jeune auteur avoue avoir tout de suite apprécié les histoires ainsi que l’écriture poétique et recherchée de l’autrice. Alors qu’il était déjà admiratif de ses nouvelles – particulièrement de son recueil Lointaines – celui-ci s’est même permis de plonger dans ses recueils de poésie, bien qu’il ne fût pas, de prime abord, un grand lecteur du genre. C’est Empreintes, lu lors d’un voyage à San Francisco, qui l’a d’abord particulièrement touché, et qu’il ose maintenant considérer comme son recueil de poésie préféré.
Mais ce que Robert Nicolas apprécie le plus de Lise Gaboury-Diallo, au-delà de l’influence que son travail a pu avoir sur sa propre démarche d’écrivain et de la qualité de ses écrits, c’est son implication dans la communauté littéraire et sa contribution à l’épanouissement de l’écriture. Lorsqu’on lui demande de décrire sa consœur, il a bien sûr envie de dire que celle-ci est incontournable, mais il s’empresse de remarquer également à quel point elle est dévouée. Il ajoute que l’écriture de l’autrice est ingénieuse et innovatrice.
Une autrice dévouée
Robert Nicolas : Lise Gaboury-Diallo, c’est quelqu’un qui fait beaucoup pour paver la route pour les écrivains en herbe, disons. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup avec les gens qui veulent se lancer en écriture, c’est vraiment quelqu’un qui fait beaucoup pour les jeunes auteurs.
Moi j’étais le premier à faire une maîtrise en création littéraire à l’Université du Manitoba, et par la suite, il y a eu d’autres étudiants qui ont voulu faire un projet en création aussi, et c’est elle qui supervise leurs projets aussi. Donc c’est quelqu’un qui fait beaucoup pour aider à donner les outils ou donner des conseils, travailler avec ceux qui veulent se lancer dans cette direction-là, ce qui est quand même tout à fait extraordinaire : que quelqu’un d’expérience prenne de son temps pour aider ces jeunes-là.
De ce que je comprends, de ce que j’ai vécu, de ce que je connais ici, c’est LA personne qui semble s’impliquer le plus; tout le monde travaille un peu avec des gens, mais je trouve que pour elle, vraiment, ça fait partie de ce qu’elle fait, de sa démarche. Quand on partage notre talent, c’est là où le rôle et l’importance de ce qu’une personne fait atteint un tout autre niveau. Elle a reçu l’Ordre du Canada et est devenue Chevalière de l’Ordre des Palmes académiques du Consulat général de France, et elle a reçu des prix assez majeurs aussi, donc on reconnait un peu partout toute sa contribution, finalement.
Il n’y a pas tant de personnes qui font des nouvelles, ici, donc pour moi, c’était super intéressant et important de travailler avec quelqu’un qui connaissait déjà ça, et d’être capable de lire de ses œuvres pour être capable d’absorber un peu de toute son expérience. Ce n’est pas juste quelqu’un qui va dire « Voici comment on écrit une nouvelle », c’est quelqu’un qui en a écrit et qui a intériorisé ses codes, et ça a joué un rôle déterminant dans mon cheminement.
Une créatrice ingénieuse
R.N. : Ses histoires sont fascinantes; on sent bien que les éléments de la nouvelle, comme la chute, sont très bien réussis. Ce qui est intéressant avec Lise Gaboury-Diallo, c’est que ses histoires prennent aussi une saveur de différentes places, que ce soit en Afrique ou ailleurs, donc elle créé un imaginaire autour de ses histoires qui te font voyager.
Son recueil de nouvelles qui s’appelle Lointaines a des histoires qui se passent à différents endroits en Afrique de l’Ouest, soit au Sénégal ou au Mali. Elle fait voyager beaucoup, même si ce sont des histoires qui pourraient se passer n’importe où; elle arrive à nous faire voyager dans son imaginaire et il y a un exotisme là-dedans, il y a quelque chose qui fait en sorte qu’on se reconnaît, et en même temps, on ne se reconnaît pas parce que ce sont des lieux qu’on n’a pas vus. Ça stimule toujours un peu l’imagination différemment.
Dans sa poésie, par exemple, je pense qu’elle semble avoir maîtrisé cette capacité de créer des images qui peuvent parler fort, avec très peu de mots. La poésie peut nous sembler inaccessible, peu facile à déchiffrer, et pas pour tout le monde, mais moi j’ai l’impression que son recueil Empreintes, non seulement à cause de cette maîtrise, de cette capacité à créer des images avec peu de mots, mais aussi parce que c’est quelque chose qu’on peut interpréter à plusieurs niveaux sans sentir qu’elle ne nous invite pas à les découvrir de fond en comble, c’est l’opposé qui se passe : c’est quelque chose qui est très ouvert. Mais ça, ça ne veut pas pour autant dire que c’est une poésie qui n’est pas raffinée, au contraire! C’est tellement raffiné que ça ne se perd pas dans cette espèce de structure qui est inaccessible pour les gens.
C’est une personne très créative, aussi, et je pense que dans sa création, il y a un jeu, un amour de la langue, et une créativité qui est explorée de toutes sortes de différentes façons. Elle s’amuse avec ça. C’est au niveau des différentes approches qu’elle prend, aussi; juste le fait de pratiquer différents genres d’écriture – que ce soit la nouvelle, la poésie ou le théâtre –, toutes ces choses-là viennent avec différentes règles, peut-être différentes contraintes, différentes approches, et je pense qu’elle explore bien sa créativité pour arriver à s’essayer à différents genres et à les maîtriser, finalement.
Une artiste innovatrice
R.N. : Je pense que c’est quelqu’un qui est toujours en train de faire des nouveaux projets et qui essaie vraiment d’aider à établir les jalons pour ce qui pourrait venir après. Elle ne fait pas juste de la poésie, elle fait des nouvelles, elle a touché au théâtre; c’est le genre d’auteure qui aime explorer et qui a déjà fait une grande contribution, mais ce n’est certainement pas proche d’être la fin de sa contribution. Je pense qu’il y a beaucoup à venir encore.
Même un peu avant d’être en contact avec elle pour mes propres écrits, j’avais découvert les siens, et je trouve que ses œuvres contribuent énormément au monde de l’écriture francophone non seulement au Manitoba, mais aussi au Canada, et à l’international aussi. Quand on pense aux auteurs du Manitoba francophone, pour moi, c’est LA personne à découvrir. Il y a plein d’auteurs qui sont intéressants ici – évidemment tout le monde connaît J.R. Léveillé, Bertrand Nayet et Charles Leblanc –, mais pour moi, c’est elle l’incontournable. Il y a une profondeur dans ce qu’elle fait, et elle est toujours en train de produire, pas juste de la poésie, mais plusieurs différentes choses, et je trouve que c’est un bel exemple qui démontre un peu ce qui se fait ici, finalement.
Il y a des choses qu’elle fait dans ses nouvelles qui m’ont inspiré beaucoup. Je ne les ai peut-être pas intégrées immédiatement, mais il y a toutes sortes d’idées que j’ai voulu travailler avec elle par la suite. C’est un peu dans la construction des histoires, ses différentes perspectives au niveau de la narration et tout ça. C’est ça qui me parle beaucoup, parce que moi, ce qui m’intéresse le plus, c’est la façon dont on choisit de raconter les histoires. Des histoires, il y en a beaucoup! C’est dans la façon de raconter que tout le sens se prend, et c’est quelque chose qu’elle fait extrêmement bien dans ses recueils.
Je pense qu’elle ajoute tout un travail de la langue et un imaginaire qui est composé de ses expériences vécues à elle, qui font en sorte qu’elle se démarque déjà par ça. Et tout se marie bien par la suite : les histoires, l’écriture, les chutes, les situations, là où ses histoires sont situées; je pense que ça donne quand même un cachet. Et qu’elle soit une francophone du Manitoba, ça lui donne une teinte propre juste pour ça, aussi.
Propos recueillis par Alice Côté Dupuis