Croisements littéraires : Paul Bossé vous présente Sébastien Bérubé

7 février 2019
Entrevues portraits
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Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.

Cette semaine : Paul Bossé vous présente Sébastien Bérubé

30e du REFC_WordItOut_PB_SB

C’est le poète Marc Arseneau qui a présenté les poètes Paul Bossé et Sébastien Bérubé l’un à l’autre. À la suite de cette rencontre, Paul Bossé est allé découvrir son jeune confrère lors d’une soirée de lecture de poésie, et c’est là, en l’entendant réciter « Ma province ou Se souvenir loin des plaques de char » (Là où les chemins de terre finissent, Éditions Perce-Neige, 2017), qu’il a vécu quelque chose de particulier : ça m’a ramené directement à Edmundston et à mes moments passés-là; chaque fois qu’on y allait quand j’étais jeune, la première chose qui frappait, c’était l’odeur du moulin de pâtes et papiers de la Fraser! Quand Sébastien a lu son texte, j’ai non seulement eu des images qui me sont venues, mais même une hallucination olfactive : je sentais le moulin de Fraser!

Outre le pouvoir évocateur de ses mots et les couleurs du Madawaska présentes dans sa langue, Paul Bossé a tout de suite apprécié l’intégrité et la sagesse de Sébastien Bérubé, qu’il trouve aussi très lucide. Lorsqu’on lui demande de décrire le jeune poète, il mentionne aussi sa fougue, parce que des fois il a un peu un côté enragé. Il ne s’enrage pas, mais il va dire et décrire des images ou des émotions très fortes, en laissant les mots parler pour lui. Parce que quand tu trouves les bons mots, tu n’as pas besoin d’en mettre plus ou d’en mettre trop, et ça, j’apprécie ça dans ses lectures. Il a le mot juste, affirme Paul Bossé au sujet de son jeune confrère acadien.

Bossé va même jusqu’à avancer que consciemment ou inconsciemment, il y a peut-être un petit peu de Guy Arsenault dans la façon qu’a Sébastien Bérubé de décrire la petite vie du petit monde du quartier ou de la ville, sans que ce soit compliqué ni savant, même si ça en devient presque une description sociologique… rien de moins!

Un humain d’une grande sagesse

Paul Bossé : Sébastien Bérubé est un jeune homme qui a beaucoup de vécu. Je l’ai rencontré, je l’ai vu lire à quelques reprises, et on a eu des discussions aussi, alors maintenant je le connais plus que si j’avais juste lu ses textes, parce qu’il m’a conté beaucoup de son vécu. Je blaguais avec lui, je lui disais qu’il avait un coefficient de vie plus saturé que les autres, c’est-à-dire que dans une année de la vie de Sébastien Bérubé, j’ai l’impression qu’il vieillit plus vite. J’ai l’impression que Sébastien est vraiment une vieille âme, parce qu’il est tout jeune, mais il a tellement de vécu. Mais quand il lit sa poésie, on ne dirait pas que c’est comme un flashback, c’est plutôt comme si tu entendais une voix qui venait d’une autre époque mais qui serait en train de nous dire des choses à propos du présent et de notre époque contemporaine. On peut dire que c’est comme un jeune sage.

Sébastien, c’est vraiment un gars super bright. Même les activités qu’il fait en dehors de la poésie, comme son travail à l’école à Edmundston, où il travaille avec les Premières nations malécites, les Wolastoqey, il s’implique beaucoup là-dedans, et il essaie toujours de brasser la cage et de faire des trucs. C’est compliqué dans une école, dans le modèle scolaire qu’on a, parce qu’on doit presque déplacer des plaques tectoniques si on veut faire des changements, mais lui, il veut vraiment. Il essaie de contribuer personnellement à faire un meilleur monde, alors ses mots, ils sont justes et ils sont intègres avec qui il est; il est vrai.

L’intégrité qui mène à la lucidité

P.B. : Ce qui me frappe beaucoup avec lui, aussi, c’est qu’il donne vraiment l’impression d’être un gars intègre. Souvent tu as des jeunes qui vont écrire des textes qui sont un peu dans le genre de Sébastien, des textes qui dénoncent beaucoup de trucs sur la société, des problèmes sociaux, écologiques et tout ça, mais lui, la façon dont il le dit, c’est intègre et honnête, alors ça en devient convaincant! Il y a la façon dont il le lit, aussi – je trouve qu’il lit très, très bien : chaque fois, je trouve qu’il est clair, précis, et il n’en met jamais trop, non plus. Il a comme une intégrité ou c’est peut-être juste une façon d’être, mais ce qu’il dit, tu le crois. Il t’amène avec lui dans ses propos, et tu ne te dis pas que c’est juste un grand parleur et que ce n’est pas vrai ce qu’il dit, qu’il exagère ou que c’est un jeune qui ne sait pas de quoi il parle : tu te dis qu’il porte un regard vraiment lucide sur les choses et qu’il a raison.

Son long poème « Hymne » – qui fait 25 pages –, c’est vraiment un portrait du Nouveau-Brunswick. C’est un texte que n’importe qui qui ne connaît pas le Nouveau-Brunswick pourrait lire. Au lieu d’aller dans le Guide Michelin, lisez « Hymne » de Sébastien Bérubé et vous aurez un portrait du Nouveau-Brunswick assez complet et très lucide! Il parle vraiment de toutes les régions, beaucoup des symboles et beaucoup des problématiques et des gens qui habitent là, dans chaque région. Et dans le même recueil, le poème d’après, c’est un autre long poème juste sur Edmundston.

Dans le même recueil tu peux dire qu’il va du macro au micro : il commence avec son «God bless Canada», son macro-portrait du Canada, après ça il a son gros « Hymne » sur le Nouveau-Brunswick et il termine ça avec « Ma province ou Se souvenir loin des plaques de char », carrément sur Edmundston, où il parle de son monde, de sa ville. Moi, mon père vient d’Edmundston, alors je suis à demi-Brayon et j’ai passé du temps là avec de la famille, en vacances, mais pour moi, c’est un peu comme un monde très à part, et c’est aussi une culture à part de Moncton. Je trouve, en lisant la poésie de Sébastien Bérubé, que c’est comme s’il devenait un peu mon guide-interprète de ce qu’est la vraie vie, la vraie culture d’Edmundston, dans un passé alternatif que j’aurais pu vivre, si mes parents n’avaient pas déménagé de là l’année où je suis né.

La fougue du poète

P.B. : Dans Là où les chemins de terre finissent, chaque page est forte et je ne trouve pas ça facile de faire de longs poèmes épiques, comme ça, des poèmes de 10, 15, 20 pages. C’est facile de trébucher là-dedans. Moi je n’ai même jamais essayé ça, d’écrire des épopées comme ça, mais lui, je trouve qu’il le réussit très bien là-dedans. C’est super politique, il parle beaucoup de l’écologie et des ressources naturelles, entre autres. Il parle beaucoup de territoire, de sa région et tout ça, il a comme une volonté de brasser la cage.

Je vais emprunter de ce que Herménégilde Chiasson m’a déjà dit; lui remarquait une tendance parmi la nouvelle génération d’auteurs, et il mentionnait Gabriel Robichaud, Sébastien Bérubé et Jonathan Roy. Il disait que ces trois-là étaient vraiment des jeunes engagés et qu’ils étaient très politiques. Qu’ils étaient un peu comme des angry young men, qui font de la dénonciation sociale et tout ça. Je ne sais pas si on peut parler de mouvement ou quelque chose, mais ils ont vraiment des dénonciations; ça me ramène un petit peu aux années 1960, à L’Acadie, l’Acadie et cette génération-là, qui était très contestataire.

Herménégilde Chiasson est de la première génération, avec Gérald LeBlanc, Raymond Guy LeBlanc, etc. Moi je serais plus dans la deuxième génération, avec les Marc Arseneau et les Christian Roy. Et Sébastien Bérubé appartient à cette troisième génération qui revient au contestataire, donc on a des styles différents : moi souvent je fais des lectures plus animées, des performances, alors que pour Sébastien, c’est moins une performance. C’est juste qu’il a tellement de conviction dans ses lectures, il a un rythme, une cadence et tout ça, c’est vraiment bon! Il fait de la musique, aussi, donc juste le fait qu’il soit chansonnier, ça lui donne probablement plus de présence et de rythme dans la façon dont il livre les textes. Mais quand il est sur scène, il a vraiment une bonne présence, et sa voix – je ne dirais pas qu’elle est autoritaire, mais elle impose le respect et elle capte ton attention. Il est vraiment solide.

 Propos recueillis par Alice Côté Dupuis