Croisements littéraires: Lisa L’Heureux vous présente Michel Ouellette

12 juin 2019
Entrevues portraits
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Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.

Cette semaine : Lisa L’Heureux vous présente Michel Ouellette

Lisa L'Heureux vous présente Michel Ouellette

C’est en troisième année de baccalauréat que la jeune dramaturge et metteure en scène Lisa L’Heureux a découvert Le testament du couturier, de Michel Ouellette, et qu’elle a vécu un vrai coup de cœur : pour la production, bien sûr, mais aussi pour la pièce en soi et son écriture. Lisa L’Heureux a tout de suite apprécié le regard de l’auteur franco-ontarien, qu’elle considère comme un vrai pilier de la littérature franco-ontarienne, et même franco-canadienne. Michel, c’est quelqu’un qui a été très, très important dans mes débuts. Il a eu un impact sur mon évolution en tant qu’artiste, en tant qu’autrice, souligne-t-elle.

L’ayant recruté comme conseiller dramaturgique pour sa première pièce de théâtre à elle, Pour l’hiver, Lisa L’Heureux affirme que Michel Ouellette a été pour elle un guide très important. En fait, je suis allée été le chercher parce que je me disais qu’il y avait quelque chose dans son écriture qui résonnait, qui se rapprochait de ma pièce, et d’avoir une petite fenêtre pour voir un peu ce qu’était son processus à lui, de l’avoir un peu comme mentor à cette époque-là, ça a été très important. C’est donc après avoir eu la chance de le côtoyer que la jeune autrice est en mesure de souligner le côté revendicateur de Michel Ouellette, l’aspect ludique de son écriture, la lucidité de son regard, mais aussi la musicalité de ses textes.

Un côté revendicateur

Lisa L’Heureux : Michel Ouellette, c’est un auteur très important, qui a toujours fait de la place pour les autres et qui revient sans cesse à l’importance de la dramaturgie franco-ontarienne, à la place de l’auteur au sein des compagnies, à l’appui que devraient donner les compagnies à la création et à la mise en valeur, à la présentation de cette dramaturgie-là. Il est très présent lors des rencontres de Théâtre Action, il a toujours quelque chose à dire et il revient toujours à l’auteur; il se fait entendre.

Je pense qu’à un moment donné, il a vu qu’il avait de la difficulté à être produit, donc il a décidé de tout simplement écrire sans se soucier de la suite. Dans le cas de Le testament du couturier, ça a pris du temps avant qu’il y ait quelqu’un qui s’intéresse à la pièce, alors il l’a retravaillée, et à un moment donné, il a juste décidé de la jouer lui-même, alors que ce n’est pas un comédien! Alors il prend les choses en mains, et pour créer, il ne se soucie pas vraiment de ce qui est en vogue ou des réalités des différentes compagnies qui ont une vision particulière. Mais en même temps, ce qui est chouette avec Michel, c’est que bien qu’il ait ce côté-là, il a toujours le petit côté revendicateur qui revient et il va quand même dire que les compagnies ont une responsabilité envers ce qui est créé par les auteurs, donc il va quand même toujours aller à la recherche d’occasions où il pourrait être monté.

Ce qui est surprenant, c’est qu’il a une quarantaine de pièces de théâtre, il a des romans, des recueils de poésie, il a même écrit des livres pour enfants! Il nous surprend et il ne fait que ça, ce qui est quand même impressionnant, aussi : il peut se dire auteur. Il ne fait pas plein d’autres choses, et il a refusé de monter ses textes lui-même, même si je pense qu’il en aurait parfois envie, mais je pense qu’il a un respect pour le travail de metteur en scène. Et ça revient à son discours de revendication : c’est très important qu’il puisse être un auteur.

Sa revendication par rapport au rôle de l’auteur au sein de la pratique théâtrale, littéraire, en Ontario français, c’est un peu ce qui fait de lui un pilier de la dramaturgie.

Un aspect ludique à son écriture

L. L. : Michel s’impose des contraintes formelles, il joue, il a un plaisir avec les mots et ça se sent, ça se reçoit. Il y a un côté ludique dans son écriture qui me plait énormément. On dit souvent que c’est quelqu’un qui touche à des sujets assez sombres ou tragiques, donc moi j’ai envie de parler de l’opposé – sans vouloir enlever le fait qu’on retrouve quand même un côté plus sombre dans son écriture –, car il y a un côté très ludique dans la façon dont il approche l’acte d’écrire, en se donnant des contraintes, en trouvant d’abord la forme, et avec les jeux de mots un peu parsemés dans son écriture.

Il s’amuse parfois à s’auto-référencier, donc il y a des références à ses œuvres antérieures qui se retrouvent dans ses écrits. Il a ce regard-là et ce souci-là, et pour moi ça revient à l’auteur qui s’amuse, parce que ce sont des indices que peu de gens vont voir, mais lui oui, et moi ça me donne envie d’aller fouiller ça, de le relire et de redécouvrir Michel Ouellette, sachant qu’il y a des petites références ici et là.

Et il fait ça avec une énorme lucidité. Dans plusieurs de ses œuvres, il y a la figure de l’auteur qui réfléchit à son art, donc on le retrouve dans différentes pièces, dans différents écrits, encore une fois comme une sorte d’auto-référentialité.

Une lucidité dans le regard

L. L. : Je dirais que Michel Ouellette est un grand explorateur, aussi; il aborde chaque nouveau projet comme un nouveau territoire à découvrir, bien qu’on retrouve quand même certaines obsessions qui ressortent dans son écriture, des thématiques qui reviennent sans cesse. C’est un explorateur, quelqu’un qui fouille autant les territoires physiques, qui explore les villages du Nord, de même que des espaces très urbains ou des banlieues du futur, mais aussi qui creuse des espèces de territoires intimes et intérieurs. Il a aussi une grande lucidité, donc il est tout le temps en train de réfléchir à son œuvre.

Il est quand même en lien avec ses contemporains, mais il a sa plume très différente et il cherche constamment à se renouveler, et il a ce regard critique – par rapport à la critique, justement, il est très sensible à ce qui est dit à son sujet, mais aussi dans l’analyse de son propre travail, pour mieux réfléchir à la suite.

Une musicalité dans l’écriture

L. L. : Dans des œuvres comme French Town ou encore Requiem, il y a une langue très oralisée, un rapport à la famille, un rapport au Nord, une violence. Tu as aussi des recherches plus formelles, et des choses qui ressortent vraiment, comme Iphigénie en trichromie ou Le testament du couturier, qui sont très, très différents. Sa poésie, quant à elle, présente une espèce de simplicité dans la manière de nommer, et on sent vraiment la confession; une confession qu’on retrouve aussi dans Le dire de Di, mais c’est beaucoup plus intime ce qu’il a à raconter dans sa poésie. J’ai toujours admiré sa façon de jumeler la poésie avec le théâtre, parfois plus subtilement et d’autres fois de façon plus marquée comme dans Le dire de Di, qui est carrément écrit en poème!

Il a ses obsessions, comme la présence de la figure de l’homme muet, qui est très présent dans son œuvre, et aussi la figure de l’auteur. Ces éléments-là reviennent, mais ensuite, il te surprend beaucoup, il se renouvelle. Donc parfois, il est dans une poésie plus prononcée, et d’autres fois c’est plutôt dans une oralité. Il est souvent à la frontière de différents trucs : il joue avec le passé, le présent, l’ici, l’ailleurs, la fantaisie, le réel; il joue beaucoup avec les frontières dans ses différentes pièces, il joue avec la rupture, et je pense que ça fait que son écriture se démarque beaucoup.

Je veux aussi parler de son rapport à la partition et à la musicalité dans ses textes. C’est quelque chose qui se sent dans son approche, tant pour son texte écrit que dans sa façon de livrer un texte sur une scène; il a une intelligence du texte, mais aussi une compréhension de la rythmique qui est phénoménale. D’entendre Michel Ouellette lire des textes, c’est incroyable, parce qu’il est sensible à la rythmique, et il y a carrément un mouvement dans ses textes.

Il y a de la poésie, un souffle qui se trouve dans ses textes; il y a un souci par rapport aux mots et par rapport à ce que ces mots-là évoquent, et aussi un souci incroyable dans la création d’images. C’est ce qu’on sent dans son écriture : le souci du détail. Justement, dans cette volonté d’avoir une respiration, qu’un mot amène à un autre et amène une sensation. C’est très réfléchi son affaire, mais en même temps, il arrive à créer des univers assez sensibles où on est dans le détail des parfums, dans les textures, dans les couleurs. Il est à la fois dans la tête et dans le cœur, et il réussit souvent à être dans cet équilibre assez délicat.

Un titre de Ouellette à conseiller?

L. L. : Sans surprise, c’est vraiment Le testament du couturier. Ce qui est magnifique, c’est que c’est un texte écrit pour un comédien seulement, mais à la base, ça a été écrit en dialogues : il a enlevé toute une partie des répliques, donc tu as juste accès à un côté. Ça revient un peu à ce qui m’intéresse aussi : il a ce souci-là de laisser un trou, il travaille avec le fragment, et c’est quelque chose qui m’interpelle.

C’est particulier de présenter juste une partie des répliques et que le lecteur ou le spectateur soit devant des points de suspension à tout moment, là où il y aurait des répliques, et qu’il doive composer lui aussi, d’une certaine façon.

C’est aussi pour la façon dont il fait cohabiter des trucs tout à fait futuristes et en même temps on revient au 17e siècle. Donc on est dans le futur, mais on est aussi influencés par le passé, et il y a quelque chose déjà là dans le jeu temporel, dans ce souci du temps, qui m’a marquée et qui a marqué aussi comment j’aborde l’écriture, je pense.

Propos recueillis par Alice Côté Dupuis