Croisements littéraires: Hélène Koscielniak vous présente Marie-Josée Martin

Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.
Cette semaine : Hélène Koscielniak vous présente Marie-Josée Martin
C’est au Thin Air, le Festival international des écrivains de Winnipeg que Hélène Koscielniak a d’abord rencontré l’autrice Marie-Josée Martin, qu’elle allait par la suite recroiser dans un train entre Halifax et Toronto, en 2015. Les deux autrices résidant en Ontario francophone allaient alors participer à l’ambitieux projet Sur les traces de Champlain, un ouvrage collectif paru aux Éditions Prise de Parole, aux côtés de 22 autres auteurs de la France, du Québec, de l’Ontario, des Maritimes ou issus des Premières Nations qui devaient écrire un livre en 24 h durant ce trajet de train. Elles se sont ensuite retrouvées sur le comité directeur de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français (AAOF) et depuis, elles ont tissé de beaux liens.
Sa gentillesse, son courage et son entregent sont parmi les qualités que l’autrice de Kapuskasing apprécie chez Marie-Josée Martin, mais c’est aussi une personne que j’admire, parce qu’elle ne se laisse limiter par rien, finalement, ajoute Hélène Koscielniak, à propos de sa jeune consœur qui se déplace en fauteuil roulant, mais qui n’hésite pas, malgré tout, à participer à divers projets, dont celui de Prise de parole qui a nécessité un déplacement d’Ottawa à Moncton, puis un trajet d’autobus de Moncton à Halifax, avant d’embarquer dans le fameux train. Si elle pense que Marie-Josée Martin a effectivement pu puiser dans sa propre expérience pour écrire son roman Un jour, ils entendront mes silences, paru aux Éditions David en 2012, elle affirme que cela ne la définit pas, et que ses écrits et son propos dépassent sa condition.
Néanmoins, c’est d’abord au courage que Hélène Koscielniak pense en tentant de décrire Marie-Josée Martin, qui est aussi, aux dires de l’autrice chevronnée, une écrivaine très intuitive et qui a beaucoup d’entregent, pas seulement dans sa personnalité, mais aussi dans sa façon de ne pas rester toute seule dans son coin, de travailler, de faire de la traduction, de converser avec des gens; elle est exposée à plusieurs choses et son écriture est ouverte au monde, elle sert à créer des ponts vers les autres.
Une autrice intuitive
Hélène Koscielniak : Marie-Josée, elle a un dicton ou une devise, elle dit elle-même que pour elle, écrire, c’est faire le silence et laisser danser le monde en soi. J’aime ça, parce que quand moi-même j’écris, c’est un peu ce dont j’ai besoin, de silence, pour essayer d’entrer dans le monde dans lequel je suis en train de vivre en écrivant.
La première fois que j’avais lu la critique littéraire qu’elle avait fait de mon livre Marraine, j’avais été impressionnée, je trouvais qu’elle avait été très intuitive par rapport à ce que moi j’essayais de dire et de faire voir dans mon livre, et je n’avais aucune idée qui elle était, je ne l’avais jamais rencontrée à ce moment-là.
Je l’admire, je la trouve courageuse, j’aime ses propos, elle a un regard poétique que j’aime, aussi, et avec son livre Un jour, ils entendront mes silences, elle a gagné quatre prix littéraires! Elle a aussi été finaliste à trois autres prix. Elle est romancière, elle est poétesse, elle est critique littéraire, chroniqueuse, c’est vraiment une personne complète.
Une artiste qui a de l’entregent
H.K. : Marie-Josée, même si elle n’écrit pas toujours des romans, elle fait des critiques de livres, elle fait aussi de la traduction – comme c’est là, elle travaille pour le gouvernement à Ottawa comme traductrice –, mais elle participe aussi à plusieurs revues, dont À bon verre, bonne table, et elle a publié des poèmes, aussi. Donc elle écrit quand même différents types de choses, et je sais que la dernière fois que je l’ai vue, elle était en train d’écrire un autre roman. Quant à moi, elle va toujours continuer à écrire, parce qu’elle aime ça, et elle a des choses à dire.
Moi, ce que je vois, c’est qu’elle partage sa propre vision du monde, à partir de ce qu’elle est, ce qu’elle vit. Mais elle dépasse son monde aussi, dans le sens où elle voyage, elle travaille pour le gouvernement, et en faisant de la traduction, c’est sûr qu’elle a un contact avec différents types de personnes, donc je trouve que sa vision du monde est quand même beaucoup plus large que juste elle-même.
Un livre de Marie-Josée Martin à recommander?
H.K. : J’ai lu son livre Un jour ils entendront mes silences, et j’ai tellement aimé ce livre-là! Ça m’a donné vraiment une perception différente des personnes handicapées. C’est l’histoire d’une jeune fille qui s’appelle Corinne, qui est handicapée, nécessairement : elle ne peut pas bouger, elle ne peut pas parler, elle est complètement limitée. On pourrait penser que c’est peut-être une biographie, mais ce n’est pas ça du tout, Marie-Josée peut bouger, elle se promène partout et elle fait plein de choses. Mais en lisant son livre, ça m’a fait entrer vraiment dans le monde du silence, parce que la petite ne peut pas parler, et c’est la petite elle-même qui raconte son histoire. À travers son regard, on suit sa vie, ses émotions, elle observe sa famille, elle en fait des commentaires; elle vit dans sa tête. C’est vraiment un livre intéressant, parce que même si c’est un roman de fiction, ça nous donne une perspective différente, moi en tout cas j’ai été vraiment touchée par ce livre-là.
La trame narrative est vraiment bien, aussi. J’ai beaucoup aimé, parce que la petite qui est handicapée et qui regarde aller sa famille, elle se rend bien compte que ça pose beaucoup de problèmes dans la famille. Les parents ne trouvent pas toujours ça facile de s’occuper d’un enfant comme ça, donc ils se renvoient un peu la balle. Ensuite le frère, qui est plus âgé, se plaint de la petite sœur qui prend beaucoup de place, donc c’est réaliste dans ce sens-là, pour tout ce que ça amène dans la famille.
C’est vraiment une histoire intéressante, parce que c’est l’histoire d’une famille très, très réaliste, finalement: les mésententes dans le couple, deux enfants qui ne s’accordent pas toujours, mais il y a quand même de l’amour dans la famille. Moi, j’ai aimé la trame narrative, j’ai aimé la façon dont c’est écrit, et j’ai beaucoup aimé les émotions de Corinne, la petite fille qui est vue comme une personne très limitée, mais pourtant, quand on est dans sa tête, on voit ce qu’elle voit et elle a un regard intelligent, analytique, intuitif sur ce qui l’entoure.
Moi, je suis entrée dans l’histoire, je suis entrée dans la tête de Corinne, j’ai vu le monde comme elle le voit, et ça m’a fait réaliser des choses. J’ai pour mon dire que pour vraiment comprendre l’autre, il faut avoir marché dans ses souliers, comme le dit le vieil adage; tant qu’on n’a pas vécu quelque chose, on ne le comprend pas vraiment chez l’autre. Et moi, dans ma famille immédiate, il n’y a personne qui est handicapé, mais en lisant ce livre-là, ça m’a donné un autre regard sur ces gens-là.
Son livre m’a tellement ouvert les yeux sur une condition humaine que je ne connaissais pas vraiment; je n’étais pas entrée dans la tête d’une personne handicapée. C’est sûr que je recommande ce livre-là, je le recommanderais même aux écoles, aux enseignants, parce que je trouve qu’on pourrait en parler d’un point de vue autant littéraire, en parlant de son écriture, de son style, que de son contenu, qui pourrait rejoindre les jeunes.
Moi je suis une lectrice avide, j’ai toujours un livre sous la main, mais je n’avais jamais lu un livre comme ça. Ça pourrait être un livre inspirant ou un livre qui fait comprendre, aussi. Je verrais un livre comme ça qu’on étudierait au secondaire! Pour les jeunes de cet âge-là aussi ça leur donnerait une autre perspective par rapport aux personnes handicapées. On ne peut pas demander à un élève de vivre cette réalité-là, mais en lisant le livre, ça fait vivre une expérience. Il y a tellement d’émotions et c’est tellement bien raconté, le vocabulaire est tellement exact, que le jeune peut comprendre la réalité quand même.
Propos recueillis par Alice Côté Dupuis