Croisements littéraires: Clara Lagacé vous présente Andrée Lacelle

15 mai 2019
Entrevues portraits
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Le Regroupement des éditeurs franco-canadiens célèbre ses 30 ans en 2019. Nous avons donc eu envie de mettre en lumière les auteurs qui ont cheminé à nos côtés durant toutes ces années, mais aussi ceux qui se sont plus récemment joints à l’aventure. En alternance, dans une sorte de chassé-croisé, les auteurs de la relève vous parleront d’auteurs établis qu’ils respectent, et les auteurs chevronnés vous présenteront de jeunes auteurs prometteurs.

Cette semaine : Clara Lagacé vous présente Andrée Lacelle

Croisements littéraires: Clara Lagacé vous présente André Lacelle

La jeune poète Clara Lagacé a étudié en littérature et a dû lire plusieurs grands auteurs par obligation, afin d’analyser, de disséquer et d’intellectualiser leurs écritures. Mais c’est par elle-même et par pur plaisir qu’elle a découvert l’autrice franco-ontarienne Andrée Lacelle, et la rencontre avec son recueil de poésie La Visiteuse n’en fut que plus mémorable et appréciable. Marquée par cette lecture, la jeune poète a décidé de découvrir Andrée Lacelle à rebours, jusqu’à son tout premier, Au soleil du souffle, qu’elle recommande aussi vivement que son plus récent.

Toutefois, si elle avait à en suggérer un davantage, ce serait Tant de vie s’égare, pour lequel Lacelle a été la première francophone à remporter le Prix Trillium, et qui incarne à lui seul tout ce que représente sa poésie, en concentré. C’est sur la solitude, sur l’amour et c’en est un bon pour entrer dans son œuvre et pour commencer sa découverte, selon Clara Lagacé. Pour la jeune poète, les textes d’Andrée Lacelle sont marqués par la solitude, mais paradoxalement, on peut aussi les décrire en employant le terme jaune, pour leur luminosité et leur incandescence. Toutefois, elle ne le cache pas : elle considère l’écriture de la Franco-Ontarienne comme exigeante, mais c’est correct d’être exigeant.

La solitude dans ses textes

Clara Lagacé : Pour moi, c’est une poésie de la solitude. J’ai l’impression – je ne la connais pas vraiment – que c’est quelqu’un pour qui il y a une certaine exigence de solitude qui vient avec l’écriture; ça me semble assez frappant dans ce qu’elle écrit. J’ai l’impression qu’elle réfléchit, aussi, à comment vivre avec cette nécessaire solitude-là.

Ce sont souvent des figures de femmes seules dans ses recueils : La Voyageuse, La Visiteuse, déjà, dans le titre des recueils, mais aussi dans les « je » qui sont là, quand même, même si le « je » n’est pas très présent dans sa poésie. C’est ce qui en ressort pour moi comme expérience de lecture et qui est un thème récurrent dans les textes, aussi.

Elle a toujours fait les choses différemment, un peu. Ce n’est pas une poésie qui est identitaire, et ça n’enlève rien à sa poésie, mais je pense que quand elle a commencé à écrire, on ne pouvait pas utiliser les grilles d’analyse de la poésie identitaire franco-ontarienne de, par exemple, un Patrice Desbiens ou un Robert Dickson, pour parler de la poésie d’Andrée Lacelle. Ça va ailleurs, et ça montre qu’il y a plusieurs manières de créer à même un territoire. Mais aujourd’hui, elle a dirigé le recueil de la résistance à Prise de parole, donc le parcours-même d’Andrée Lacelle montre qu’elle a quand même toujours été intéressée par ces questions-là dans sa vie, même si sa poésie ne nous amène pas nécessairement dans ces zones-là.

Du jaune dans l’écriture

C.L. : Ça m’a fait rire un peu quand je relisais son œuvre, à quel point le mot jaune revient; elle semble très intéressée par la couleur jaune. On pourrait dire jaune comme lumière ou comme couleur de l’enfance, du bonheur, des feuilles, le matin, quand la nuit se couche et que le soleil se lève; elle est beaucoup intéressée par cet état, par ces moments où on est entre deux choses.

Mais le jaune est certainement en lien avec la lumière, avec l’incandescence de ses textes. C’est incarné dans une sorte de lumière, et c’est super intéressant de réfléchir au langage et à l’écriture; de réussir à faire voir le monde intérieur, le monde peut-être plus des songes, à travers les mots. Ce qui m’a plu beaucoup, aussi, c’est qu’on a toujours l’impression d’être en équilibre quand on lit sa poésie. C’est comme un effleurement des choses : on arrive proche, et on a l’impression d’un vacillement, mais ça n’arrive pas.

Ce qui m’a interpellé, aussi, je pense que c’est dans son intérêt à essayer de – je ne dirai pas capter, parce que ce serait comme faire un arrêt sur image, et je trouve que sa poésie bouge beaucoup plus qu’elle n’arrête, mais capter plutôt la lumière de nos vies, et la solitude. Ces deux thèmes-là sont super importants et m’ont beaucoup appelée, parce que j’y réfléchis aussi.

Elle écrit « Le songe est vaste, tel un tiroir ouvert où s’accumule l’étonnement ». Ça reste super simple comme langage : ce sont des mots auxquels il est facile de s’accrocher, le langage est assez épuré, simplifié. Avec ça, elle réussit à parler d’une manière intéressante de l’étonnement, de la vie intérieure, de la lumière, etc. Les structures des poèmes sont souvent complexes, mais le langage choisi est simple.

Une poète exigeante

C.L. : Ce que j’aime beaucoup, c’est au niveau de la forme : ses recueils sont toujours construits de façon singulière; il y a quelque chose d’un peu circulaire, il n’y a pas de narration linéaire qui nous fait avancer à travers le recueil. Elle travaille beaucoup avec des ellipses ou des retours, et ce sont les mêmes mots qui reviennent du début à la fin, souvent, et ça, je trouve ça intéressant. Ça fait que comme lectrice, ça exige de moi une lecture beaucoup plus attentive, et ça me force à réfléchir, parce que tous ses mots-là, au fond, tournent autour d’une idée, et c’est à moi de me faire cette idée-là, parce que je ne pense pas qu’elle nomme directement les choses.

Ça peut être à plusieurs niveaux : tu peux en faire une première lecture sans trop te lancer dans l’analyse, et ressortir de là dans un état peut-être plus de contemplation qui a été justement mis en place par le rythme formel des mots qui reviennent, de la circularité des textes, et c’est super bien. Tu peux aussi pousser la lecture plus loin, sur un plan plus intellectuel, et là, faire une analyse plus approfondie. Mais ce n’est pas complètement inaccessible, au sens où ça reste assez simple dans ce qui est mis en scène, qui est souvent l’enfance, souvent la femme qui se promène sur un chemin, etc. Ce sont des métaphores auxquelles on peut s’accrocher, et c’est ça qui fonctionne, en fait.

Mais je trouve ça épatant à quel point sa poésie est très exigeante. Elle est exigeante au niveau de la forme : je ne pense pas que tu peux commencer par lire ça si tu n’as jamais lu de poésie; ce n’est pas par là que je commencerais pour entrer en poésie. Mais c’est quelque chose d’hyper travaillé, de super cohérent, alors c’est inspirant pour moi de voir une telle cohérence dans son œuvre, de ses premiers recueils jusqu’à la fin, ou jusqu’à aujourd’hui, parce qu’elle continue d’écrire. C’est un exemple vers quoi tendre, et c’est ça que je trouve inspirant : c’est justement ce qu’elle exige d’elle-même pour écrire comme ça, et de son lecteur, aussi. Il n’y a pas de compromis!

Andrée Lacelle est une poète à part entière. Tu lis sa poésie, et tu comprends qu’elle ne fait pas de compromis. Tu lis son échange de lettres avec Herménégilde Chiasson (dans le cadre d’une invitation de la revue Francophonies d’Amérique) et tu vois qu’elle réfléchit sans cesse à comment être poète dans le monde. J’ai l’impression qu’elle est poète avant tout et cette confiance-là, je la trouve contagieuse et inspirante comme jeune autrice. Il est parfois trop facile d’avoir le syndrome de l’imposteur, de ne pas s’affirmer poète quand on commence tout juste à écrire et à publier. La poésie et la posture de Lacelle m’apprennent qu’il ne faut pas céder à cette angoisse-là, il y a tellement à voir, tellement à réfléchir, tellement de poésie à créer.

Propos recueillis par Alice Côté Dupuis