Critique de «Génération sandwich» par Françoise Enguehard
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En janvier 2021,
découvrez Génération Sandwich,
d’Hélène Koscielniak
paru aux Éditions L’Interligne
Ce mois-ci, Françoise Enguehard nous partage ses impressions suite à la lecture du roman d’Hélène Koscielniak.
Françoise Enguehard est une journaliste et écrivaine. Elle a été présidente de la Société nationale de l’Acadie et demeure à Saint-Jean, en Terre-Neuve.
Par Françoise Enguehard
« Génération sandwich »? Je ne connaissais pas l’expression, cependant je connais intimement le phénomène! Comme tant d’entre nous de nos jours, Lianne, l’héroïne du roman, est tiraillée entre ses obligations envers un père vieillissant, acariâtre et de plus en plus dépendant, et ses enfants, petits-enfants, frères, neveux et nièces. À vrai dire, la pauvre femme en a vraiment beaucoup sur les épaules et plus on avance dans le récit, plus on ressent à quel point elle se sent écrasée par ses responsabilités, tout comme une tranche de jambon entre le beurre, la mayonnaise et le pain.
Je suis sûre qu’Hélène Koscielniak écrit d’expérience. Ayant été aidante naturelle de mon père, j’ai trouvé dans ce livre des détails que seule une personne ayant joué ce rôle peut connaître. Elle présente aussi avec vérité les sentiments contradictoires qui assaillent constamment son personnage principal, et décrit habilement le conflit intime quasi permanent entre ses besoins personnels et ceux de tous ceux qui l’entourent, la colère sourde qu’elle ressent parfois, immédiatement suivie de remords, le tout animé par une alter ego qu’elle a joliment nommée « Miss Culpa ».
On ressent à quel point elle se sent écrasée par ses responsabilités, tout comme une tranche de jambon entre le beurre, la mayonnaise et le pain.
Il y a beaucoup de personnages dans ce roman, qui amènent chacun et chacune leur dimension à cette famille d’aujourd’hui, recomposée et pour le moins disparate. Cependant, les deux personnages principaux en sont Lianne et son père, Dominique. Car au-delà des conflits de génération, ce livre traite d’abord et avant tout de la vieillesse – celle qui a rattrapé le père et qui guette la fille, puisqu’on parle bien aujourd’hui dans nos sociétés – et dans ce livre – de personnes âgées s’occupant de personnes âgées. C’est là l’aspect le plus intéressant et le plus accompli du roman. Le personnage de Dominique, le père, est criant de vérité. À travers lui, on découvre le regard excédé ou gêné de la société sur les personnes âgées en général, on comprend comme il est dur d’accepter ses limites physiques et mentales lorsqu’au-dedans de soi on se sent encore en pleine possession de ses moyens, on réalise comme il peut être légitime d’être hargneux face aux exigences des soignants pour qu’on soit raisonnable, propre, ordonné, patient.
Si Lianne passe beaucoup de temps à réfléchir à sa situation, à ses obligations et à ce que l’avenir lui réserve, Dominique, lui – curieusement, puisque c’est lui le plus âgé – ne pense au passé que pour mesurer les restrictions qui l’affligent dans son quotidien, dans ses déplacements et dans sa capacité à faire ce que bon lui semble. Là encore, il s’agit d’une fine observation de la réalité des choses : contrairement à ce qu’on croit souvent, beaucoup de personnes âgées vivent dans l’instant présent tandis que leurs enfants tentent de se projeter dans l’avenir.
L’autrice exprime aussi avec force le déchirement qui existe souvent entre le dévouement de Lianne, souvent ressenti par elle comme un sacrifice insuffisamment reconnu et apprécié par ses frères, et l’exaspération de son entourage qui y voit, bien plus souvent, ingérence et désir de tout contrôler. Là encore, il faut l’avoir vécu pour comprendre que, dans une famille, il y a généralement une personne apte (ou volontaire) à en assurer la charge mentale, qu’il soit question de vieillesse, de finances, de soins, de maladie, de peine.
L’autrice exprime aussi avec force le déchirement qui existe souvent entre le dévouement de Lianne […] et l’exaspération de son entourage qui y voit, bien plus souvent, ingérence et désir de tout contrôler.
La faiblesse du roman est hélas dans son style, très formel, surtout lorsqu’il s’agit des dialogues. Je me suis prise, plusieurs fois, à me dire : « Mais enfin, personne ne parle comme ça! ». Le seul personnage qui échappe à cette formalité, vous l’aurez sans doute deviné, c’est le patriarche, Dominique, qui dit ce qu’il pense, quand il le veut, sans filtre, sans aucune rectitude politique et avec beaucoup de blasphèmes. On pourrait penser qu’il s’agit d’un effet voulu pour bien marquer la différence entre l’esprit d’une personne en fin de vie pour qui rien n’a plus beaucoup d’importance et celui d’une génération pétrie de doutes et de questionnements. Mais il reste que Lianne peine à s’exprimer de façon vraie. C’est vraiment dommage puisque son personnage est attachant et bien vu. Pas besoin d’avoir vécu, ne serait-ce qu’en partie, son quotidien pour ressentir de la compassion pour cette fille, conjointe, mère et grand-mère qui essaie de faire de son mieux pour être tout pour tout le monde, qui se sait fragile alors même que tout son entourage s’appuie sur elle.
Génération sandwich est un roman agréable, facile à lire, dont la plus grande qualité est d’éveiller le lecteur ou la lectrice aux réalités de la vieillesse, de l’amener à considérer cette épineuse question de l’intérieur et de plusieurs points de vue. Le livre ne pontifie pas, n’offre pas de solutions miracles, il montre simplement comment ça peut se passer quand on arrive à ce délicat moment de l’existence, où l’on n’est plus sûr de rien.
Pour en savoir plus...
Génération sandwich
Découvrez Génération Sandwich, un roman d’Hélène Koscielniak paru aux Éditions L’Interligne en 2020. En voici le résumé :
Lianne Ménard fait partie de la « génération sandwich », appelée à prendre soin simultanément de ses vieux parents et de ses enfants adultes. Entre les besoins de son père souffrant d’alzheimer, de ses enfants malheureux en couple et de sa petite-fille qui annonce son intention de devenir un garçon, Lianne se sent débordée et épuisée.
Culpabilité, liens familiaux, rapports intergénérationnels : avec ce roman, Hélène Koscielniak montre à nouveau son talent pour scruter le quotidien et traiter de problèmes sociaux actuels avec un réalisme désarmant.
« Voilà un sujet peu abordé, qui touche pourtant le quotidien de plus de 50% des gens entre 40 et 60 ans […]. »
– Isabelle Beaulieu, Les Libraires
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