«Coquelicot sur un rocher» d’Aurélie Resch : Hommage aux forces fragiles

8 juin 2018
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Coquelicot sur un rocher d’Aurélie Resch

Coquelicot sur un rocher

Hommage aux forces fragiles

La guerre est souvent une histoire d’homme, un récit de pouvoir et de violence. Rarement y inclut-on les femmes et leur point de vue comme l’a fait l’auteure Aurélie Resch en écrivant Coquelicot sur un rocher, un roman sur les relations mère-fils en temps de guerre, publié aux Éditions Bouton d’Or Acadie. Si la maison d’édition est réputée pour ses publications jeunesse, elle n’a pas souhaité se priver de publier cette œuvre coup de cœur, significative, bien écrite et intéressante, malgré qu’elle s’adresse à un public adolescent et adulte.

On pourrait se dire qu’on a suffisamment entendu parler de la guerre en Afghanistan, mais pourtant, il y a toujours une occupation américaine, on peut encore déceler des séquelles autour de nous, et la question du terrorisme revient régulièrement hanter nos médias. Je pense aussi que c’est une chose à laquelle on ne pense pas assez; quand on est au jour du Souvenir, il y a toujours la mère du soldat inconnu ou la mère d’honneur qui vient poser une gerbe, et on s’attendrit un peu, mais on ne pense généralement pas à l’effet de la guerre sur les mères, alors je pense que ce roman peut provoquer une compassion, une compréhension, soutient Marie Cadieux, la directrice générale et littéraire des Éditions Bouton d’Or Acadie.

En effet, Coquelicot sur un rocher est un récit à trois voix qui se croisent, qui ont chacune leurs préoccupations, leur univers personnel, mais qui finissent d’une certaine façon par se rejoindre, décrit l’éditrice. Une journaliste italienne couvrant le conflit à partir de la base militaire américaine, la mère d’un soldat américain, puis une Afghane qui vit à Kandahar et qui subit la montée des talibans sont ainsi impliquées et happées par la guerre de différentes façons, mais elles ont toutes en commun d’être des mères. Donc ce sont trois femmes qui viennent de trois pays et qui sont sur des lieux différents, qui vont se croiser, parce que toutes ont un objectif : préserver leur enfant de l’énormité qui se passe sur le terrain, raconte l’auteure, Aurélie Resch.

C’est alors qu’elle-même était enceinte de son premier enfant que l’écrivaine et journaliste a eu l’opportunité de partir en Afghanistan; une proposition qui allait la tourmenter et l’habiter longtemps. Le concours de circonstances a fait que je n’ai pas pu y aller, et c’est quelque chose qui m’a vraiment perturbée, parce que j’avais fait beaucoup de recherches, et aussi on m’avait beaucoup jugée. On m’avait dit « tu veux partir, mais tu es enceinte, tu n’es pas consciente! ». Du coup, je m’étais vraiment posée la question sur la place de la maternité dans une trajectoire professionnelle, puis dans des lieux qui sont difficiles à vivre, explique-t-elle au sujet des prémices de son roman.

C’est donc réellement l’aspect maternel qui a donné la ligne de conduite de ce livre. Je ne voulais pas trop toucher à tout ce qui était politique, car il y a beaucoup de choses qui ont été faites là-dessus, mais je voulais passer plus par un ressenti, un vécu plus personnel, plus affectif, à travers des cultures et des personnes très différentes, raconte celle qui a rencontré beaucoup de femmes, mais aussi d’Afghans ou de gens qui ont vécu d’autres conflits du monde, afin de bien cerner la façon dont ces guerres sont vécues à distance, lorsque des membres de la famille se retrouvent en plein cœur du drame.

Une chose qu’Aurélie a réussi à faire, avec une sobriété d’écriture, c’est de décrire ce qui se passe ou qu’on peut s’imaginer se passer dans la tête de soldats et de personnages secondaires, mais qui sont quand même vraiment dans les coulisses de ce qui se passe, affirme Marie Cadieux, qui considère l’approche et l’écriture d’Aurélie Resch comme tout à fait intéressantes et originales. Disons que ça nous situe en plein cœur de l’horreur de la guerre; non pas racontée par des événements descriptifs, mais vécus dans un cheminement intérieur pour chacune des personnes. Ça nous amène dans une profondeur qu’on n’aurait peut-être pas si on était avec une seule personne, achève-t-elle d’expliquer.

En effet, si Aurélie Resch propose des réflexions au sujet du rôle qu’on peut jouer lorsqu’on n’est pas sur la ligne de front et sur la place qu’on peut prendre en tant que personne impactée par la tourmente, sans être directement sur les lieux, il faut toutefois préciser que les voix des fils se font aussi entendre à l’occasion. Par exemple, ce jeune soldat de 22 ans qui s’enrôle dans l’espoir de rendre son père fier : Il doit s’engager, mais il se rend compte que ce n’est pas du tout une aventure qui est faite pour lui, précise l’auteure. Donc il y a peut-être des similitudes avec des jeunes qui essaient de s’engager dans une voie pour exister, pour prendre une place importante aux yeux de leur entourage, et puis qui se retrouvent pris dans une toile qui les inquiète plus qu’autre chose.

Marie Cadieux est confiante que les adolescents apprécieront cette lecture et ses thématiques universelles, et qu’ils sont suffisamment confrontés à toutes sortes de choses aujourd’hui pour bien recevoir ce sujet un peu plus dur. Mais elle insiste aussi sur la grande beauté et sur la force du lien mère-fils décrit dans ce roman, avec une sorte de délicatesse. Il n’y a pas d’insistance romanesque, mais on sent le côté vraiment louve des mères par rapport à leur enfant. C’est une espèce de bataille à finir des mères pour soit comprendre, soit protéger ou accepter, aussi, leur fils là où il est. C’est aussi d’essayer de circonscrire la guerre, de comprendre; surtout dans le cas de la mère du soldat, puisqu’elle est dans une incompréhension vis-à-vis des raisons qui l’ont mené à s’enrôler.

Bien que le coquelicot soit le petit frère du pavot et fasse partie d’un commerce bien présent en Afghanistan, c’est dans la chanson « Inch’Allah » d’Adamo qu’Aurélie Resch a puisé son titre. Je me rappelle, petite, avoir entendu cette chanson avec des paroles qui disaient « coquelicot sur un rocher », et puis en tant qu’enfant, ça renvoyait vraiment à quelque chose d’impossible : comment est-ce qu’une fleur pouvait pousser sur un rocher? Et quand je pense à ce conflit en Afghanistan, c’est cette même incompréhension que j’ai. Quand je pense au peuple afghan, à ce qu’il était et à ce qu’il est aujourd’hui, ça tient de l’impossible. Je me dis qu’il a cette fragilité et cette force d’une fleur comme le coquelicot qui peut, au travers des difficultés, des tragédies innommables, continuer à se dresser. Et c’est avec ce même respect pour les forces fragiles que l’auteure souhaite qu’on repositionne la part jouée par les femmes dans les conflits du monde.

Le roman Coquelicot sur un rocher d’Aurélie Resch est publié aux Éditions Bouton d’Or Acadie.

Alice Côté Dupuis
6 juin 2018