Perce-Neige : Une maison d’édition qui n’a pas froid aux yeux!

22 juillet 2016
Carnets
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Petite entrevue avec Serge-Patrice Thibodeau, directeur général et littéraire des Éditions Perce-Neige, par Aude Rahmani, chargée de promotion et de médiation du RECF.

Serge-Patrice Thibodeau, pouvez-vous nous parler de la maison d’édition Perce-Neige et de sa ligne éditoriale?

Les Éditions Perce-Neige ont été fondées au début des années 80 en réponse à la frustration grandissante des membres de l’Association des écrivains acadiens. Ces derniers considéraient que les Éditions d’Acadie disparues d’ailleurs en 2000 faisaient de moins en moins de place à la poésie et aux jeunes auteurs et devenaient, malheureusement, trop institutionnelles, pour ne pas dire, commerciales. C’est ainsi que s’est dessinée la ligne éditoriale de Perce-Neige : publier de jeunes auteurs et de la poésie. Depuis trente-cinq ans, nous nous sommes donné comme mission d’encourager la création littéraire en français de chez nous. Quand on choisit parmi des manuscrits, on privilégie toujours des projets de jeunes auteurs, même si parfois ils ne sont pas totalement aboutis. Mais pour nous, c’est une façon d’assurer la pérennité de l’édition en Acadie.

En quoi consiste le métier d’éditeur, et quels sont, selon vous, les grands défis auxquels il se trouve confronté?

Je pense que les plus grands défis reposent avant tout sur les épaules du directeur littéraire. Le travail de la direction générale est essentiellement un travail de gestion. Si l’on est un bon gestionnaire, on s’en sort assez facilement. Par contre, la tâche de la direction littéraire est totalement différente; c’est un tout autre créneau, très difficile à accomplir, surtout lorsque la maison d’édition a trente-cinq ans. Nous avons déjà quatre générations d’auteurs ! On a des auteurs qui sont loyaux, fidèles et qui sont là depuis les débuts. Pas facile alors de respecter à la lettre notre ligne éditoriale. Quand ils nous arrivent avec un projet, il faut les publier! Ce sont des auteurs au catalogue. D’un autre côté, comme vous le savez, on a pour mission de développer l’écriture de chez nous et l’on reçoit des projets de jeunes ou de personnes plus âgées qui commencent à écrire. Le plus grand défi du directeur littéraire est donc d’arriver à trouver un équilibre éditorial tout au long de la production annuelle. Il doit veiller à ne pas trop mettre en concurrence les auteurs entre eux. On reçoit de plus en plus de manuscrits, ce qui veut dire aussi pour nous de plus en plus de refus. Parfois, on nous fait parvenir des titres qui tiennent la route et qui sont très bien, mais qui ont la possibilité de se faire publier ailleurs. Le directeur littéraire doit alors trancher en gardant en tête qu’il est là pour privilégier des auteurs de chez nous n’ayant pas la possibilité de se faire publier dans la métropole chez d’autres maisons d’édition. Les Éditions Perce-Neige ont avant tout pour mandat de servir de tremplin à de jeunes auteurs acadiens. Nous portons donc une attention toute particulière au manuscrit d’un auteur qui débute plutôt qu’à celui d’un auteur qui a déjà publié deux, trois, quatre, cinq livres et qui a acquis assez de notoriété pour se faire publier ailleurs.

Qu’est-ce qui caractérise selon vous la relève littéraire acadienne?

Aujourd’hui, ce qui est intéressant, c’est que l’on se retrouve en présence d’une première génération d’auteurs acadiens qui a pour modèles d’autres auteurs acadiens. Ce n’était pas le cas pour les auteurs de ma génération. À mon époque, l’édition et la publication en Acadie débutaient tout juste. Même si adolescent, j’ai découvert, grâce à certains de mes professeurs, les deux ou trois premiers poètes acadiens ainsi que les premiers livres publiés aux Éditions d’Acadie, je ne peux pas dire que c’était un corpus suffisamment développé pour que je puisse parler de modèles. Aujourd’hui, il existe un corpus beaucoup plus développé, qui permet à la génération d’auteurs acadiens de trente ans et moins de créer à partir de ce qu’ils ont pu lire. Bien entendu, j’encourage vivement les jeunes à écrire autre chose que de la poésie, mais c’est une forme qui s’impose souvent d’elle-même quand on débute dans l’écriture. Ma façon de travailler avec les jeunes auteurs repose beaucoup sur un travail de terrain. La plupart des jeunes auteurs que j’ai publiés ces six dernières années sont des jeunes que j’ai entendus lors de soirées de poésie souvent amatrices. J’ai pris des notes et je suis ensuite allé les rencontrer dans les jours qui ont suivi. En gardant contact avec eux, j’ai pu les encourager à développer leur propre discours. Il est très important pour moi de ne pas attendre qu’ils viennent à nous. À l’Université de Moncton, il y a au moins une soirée de poésie par année, organisée par les étudiants. C’est un vivier d’auteurs en devenir. J’ai pu y entendre pour la première fois Jonathan Roy, Gabriel Robichaud, Dominic Langlois et bien d’autres, que j’ai publiés par la suite. Monica Bolduc que l’on va publier l’an prochain est une autre auteure que j’ai entendue sur scène à l’Université de Moncton et qui m’a complètement renversé. Je lui ai écrit le soir même pour que ses textes soient inclus dans l’anthologie de la poésie des femmes. C’est la plus jeune poète acadienne! Je ne sais pas si cela se passe de la même façon dans les autres communautés francophones, mais ici, à l’Université de Moncton, il y a des professeurs assez dynamiques et motivés pour encourager leurs étudiants à écrire. Le rôle des directeurs littéraires et de collections est ensuite de guider et d’encourager ces jeunes, à transformer leurs productions purement académiques en de véritables œuvres littéraires.

Vous avez déjà avancé l’idée que les maisons d’édition de la francophonie canadienne étaient avant tout des incubateurs d’auteurs. Pouvez-vous développer un peu ce point de vue?

Il en va de l’avenir même de nos maisons d’édition! Si l’on n’encourage pas la création littéraire en français chez les jeunes et si l’on ne les publie pas, nous n’aurons bientôt plus de raison d’exister. Chez Perce-Neige, on a la chance d’avoir quatre générations d’écrivains, mais ceux de la première génération ne sont pas des immortels… Aussi, si l’on veut poursuivre nos activités, il faut penser aux jeunes qui représentent l’avenir ! Ce que je trouve extrêmement intéressant et motivant en Acadie, c’est de voir le nombre de jeunes qui assistent à nos lancements et à nos soirées de poésie. Je dirais que la meilleure façon de rejoindre cette génération, c’est de publier un jeune qui « déplace beaucoup d’air » par exemple Gabriel Robichaud! Il devient un modèle et motive une relève!

Le choix du papier, des caractères, de la mise en pages et du graphisme de la couverture sont des éléments extrêmement importants pour un éditeur. Je sais que vous avez dernièrement décidé de « dépoussiérer » la collection Poésie; pouvez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet?

Oui tout à fait, nous avons décidé d’offrir à la collection poésie un relooking intégral, un changement de ligne graphique. Quand nous avons lancé cette collection, la couverture était en « bleed » et nous avions choisi de reproduire des œuvres d’artistes visuels acadiens. Comme les livres voyagent, cela permettait aussi de faire connaitre ces artistes. L’an dernier ou l’année précédente, deux ou trois de mes poètes sont venus me dire qu’après avoir fait le tour des salons du livre et des librairies, ils avaient trouvé que la ligne graphique de la collection poésie n’était plus aussi originale. Beaucoup d’autres éditeurs avaient adopté le même concept. Fort de cette constatation, j’ai adopté un certain statu quo jusqu’au jour où j’ai travaillé avec Georgette Leblanc pour son recueil, Le grand feu. Elle est arrivée en me disant qu’elle ne voulait aucune œuvre d’artiste visuel sur la couverture de son livre, mais juste, une couverture noire avec son nom et le titre en blanc. Pour elle, la poésie étant avant tout des mots, elle souhaitait miser sur un jeu typographique. Au début je me suis montré extrêmement réticent, mais, comme c’était Georgette, j’ai décidé de faire confiance à son intuition. On s’est mis à travailler en ce sens avec mes graphistes et finalement, on a été très contents du résultat. Changer la facture visuelle de la collection emblématique des Éditions Perce-Neige était un très gros risque que j’ai finalement accepté de prendre! Avec cette nouvelle facture visuelle et contrairement à tout ce qui a pu être fait auparavant en poésie, c’est le texte lui-même qui détermine également le format du livre. Dans le cas de Paul Bossé par exemple, ses vers étant extrêmement longs, on a décidé de ne pas les couper pour garder l’effet visuel du poème. J’ai donc demandé à ma graphiste de me monter le poème de Paul Bossé sur une page dans un format 6 par 8. Pour Dominic Langlois dont les poèmes sont très courts et très condensés, on a choisi un format 5 par 6 presque carré. Pour la poésie en prose de Georgette, donc verticale, le format 5 par 8 s’est imposé de lui-même. Autre caractéristique de ce relooking, l’auteur choisit lui-même la couleur utilisée pour son nom sur la couverture. Cela permet de faire ressortir la personnalité de l’auteur et apporte une touche très ludique au noir et blanc de départ. Georgette a voulu du bleu, Dominic de l’orange, Paul Bossé du rose et France Daigle que l’on va bientôt publier, du vert pomme ou du vert limette fluo… La typographie a, elle aussi, son importance. Elle se décide en fonction du texte, elle vient l’accompagner et non pas l’illustrer. La typographie, tout comme la poésie doit nous inviter à nous faire notre propre représentation des images qui nous sont suggérées. Grâce à cette nouvelle facture graphique, chaque recueil va vraiment se démarquer. Notre collection poésie va retrouver son originalité et faire, assurément, son effet dans les salons du livre et dans les librairies ! Imaginez un mur de livres noirs, de tailles différentes avec des typographies multiples et des noms d’auteurs de toutes les couleurs!

Vous êtes chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française, membre de l’Académie des lettres du Québec et membre de l’Ordre du Canada. Que représentent pour vous toutes ces distinctions?

Ah, la question à cent piastres ! Chacune de ces distinctions représente pour moi la reconnaissance d’un certain accomplissement. Trop souvent, j’ai le nez collé sur mon travail et je n’ai plus aucun recul. Quand le Ministère de la Culture française m’a fait chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française pour ma contribution au rayonnement de la langue française, c’était vraiment incroyable! Je trouve intéressant que cet aspect de mes activités professionnelles et artistiques puisse être reconnu. Je suis devenu membre de l’Ordre du Canada pour ma contribution à la littérature acadienne, en tant que poète et éditeur. Je me suis dit alors que si, pour une fois, on reconnaissait le métier d’éditeur à un tel niveau, c’était difficile de refuser. À mes pairs et mes collègues qui pourraient me reprocher d’avoir accepté cette distinction, je réponds que c’est quand même assez ironique que Sa Majesté la reine Elizabeth II reconnaisse ainsi la littérature et l’édition acadiennes! J’ai vu dans cette distinction une petite revanche sur l’Histoire. Devenir membre de l’Académie des lettres du Québec m’a vraiment fait plaisir, car j’ai donné mes plus belles années au Québec. J’y ai vécu plus de vingt-deux ans, dont dix-neuf à Montréal. J’ai été très actif dans le milieu littéraire québécois, et ce, jusqu’à mon départ en 2004. J’ai trouvé vraiment formidable que l’Académie des lettres du Québec décide d’élire un deuxième écrivain acadien après Antonine de Maillet. Cela ouvre peut-être la porte à d’autres écrivains acadiens. Je suis conscient qu’il existe une controverse autour du caractère désuet et élitiste de l’Académie. Je répondrais à cela que nos institutions culturelles ont dangereusement été fragilisées durant les dix années du régime conservateur et qu’il est important qu’une telle institution existe encore après soixante-quatorze ans. Même si cela fait une douzaine d’années que je suis parti du Québec, je me sens très proche des autres membres de l’Académie. J’aime l’esprit de confrérie qui y règne. J’envisage éventuellement de m’y impliquer un peu plus.

Vous êtes avant tout un poète et un essayiste, pourrons-nous prochainement avoir le plaisir de vous lire?

Aujourd’hui, je vais te dire oui… demain, je vais te dire non… après-demain, je vais te dire peut-être et le jour d’après, je vais te dire oui! J’ai commencé à bouder mon manuscrit, je l’ai même caché pour ne pas être tenté de le mettre à la poubelle! Je suis dans la période où il faut que je le publie sinon je vais le massacrer ou le détruire complètement! Il faut savoir lâcher prise! Donc oui, j’ai prévu de sortir mon prochain recueil de poésie en avril 2017. Je le présenterai au Salon du livre d’Edmundston, car c’est tout de même ma région. C’est un livre un peu étrange… Pour la petite histoire, mon ami, Pierre Ouellet m’a dit un jour : oui, toi, avec tes petites plaquettes de quarante-huit pages tous les cinq ans, quand vas-tu exploiter le souffle que tu as et nous arriver avec quelque chose de substantiel? Il m’a donné le petit coup de pied au cul qui me manquait… La même chose s’est produite lorsque j’ai rencontré Claude Beausoleil, directeur de la revue Lèvres urbaines, qui m’a dit qu’il attendait mes textes depuis dix ans et qu’il me laissait jusqu’au 15 janvier de l’année suivante pour les lui donner. J’ai donc commencé péniblement l’écriture d’un texte en prose, jusqu’à ce que le déblocage se fasse et que j’en écrive cent-cinquante pages. Ce texte est très très audacieux, ce qui explique peut-être le fait que je fasse un peu de fox-trot avec lui… un pas en avant et deux pas en arrière. Mais je pense que ça va marcher! Je suis prêt à prendre le risque, d’autant plus que ce sera mon vingtième livre. Je me suis également souvenu en l’écrivant de ce que ma mère m’avait dit un jour : ça serait le fun que t’écrives un livre juste pour toi. Depuis lors, j’ai cultivé le fantasme de m’écrire un livre! (Rire) Dernièrement, je me suis dit que ce n’était pas parce que je m’écrivais un livre que je ne pouvais pas le partager! (Rire) Dans ce manuscrit, je me suis laissé aller et j’ai essayé de repousser certaines limites. Je veux me faire lire avant publication, une posture un peu difficile à adopter lorsque l’on est soi-même éditeur. Comme c’est un livre qui touche tellement l’Acadie, je souhaite également le publier aux Éditions Perce-Neige. D’ailleurs, on m’a souvent dit d’arrêter de publier ma poésie au Québec. Aussi, ai-je décidé de me faire lire par trois poètes de moins de trente ans, Sébastien Bérubé, Gabriel Robichaud et Jonathan Roy. Jonathan et Gabriel sont des lecteurs redoutables tandis que Sébastien est plus intuitif. C’est important pour moi de me faire lire par les jeunes!

Quelle couleur allez-vous choisir pour votre nom sur la couverture?

Lavande! C’est un thème qui revient. Le lecteur comprendra au fur et à mesure de sa lecture pourquoi mon nom est en lavande! (Rire)